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tasque et tendre, ravi et brusque, voluptueux et blasé, toujours et partout, M. Alfred de Musset laisse à découvert dans ces diversités une source vraie et naturellement concentrique d’inspiration. Cette source a des sinuosités égarées ; elle se brise quelquefois avec un grand bruit, et quelquefois elle se cache et s’atténue sous les herbes ; elle aime souvent les roches escarpées et sublimes, elle aime aussi les bergeries plus facilement fréquentées ; mais le flot qu’elle traîne ou qu’elle précipite est toujours teint d’une même couleur, qui semble un beau reflet de l’azur céleste.

Le type présenté par M. Alfred de Musset est un type descendu aujourd’hui dans bien des méditations, peu manifesté cependant, un type de jeunesse brillante et audacieuse qui s’éparpille sans craindre de se perdre, qui s’élève et s’irrite sans redouter les chutes et les excès ; c’est un type ambitieux, si l’on veut, cherchant à vivre de tout ensemble, ne ménageant ni ses forces, ni les choses, usant de lui-même généreusement et sans bride, duelliste envers le reste des ouvrages de Dieu, parce qu’il sent Dieu dans son propre sein ; c’est un type de liberté téméraire. Mais M. de Musset donne à cette fougue un mouvement particulier ; il lui laisse toute son imprudence, et, ne lui ayant pas d’abord assigné nettement un but, il la brise parfois en des mélancolies où elle noircit quelque peu ses pieds d’ivoire, mais d’où elle sort alerte et entière néanmoins. Cette impéritie, qui accroît peut-être le charme de ses hardiesses, tient du reste à une désinvolture insouciante et fashionable qui sert, si je puis ainsi dire, de costume à la pensée du poète. Forte jeunesse fatiguée de ses loisirs, aspiration à la beauté pure, purification des beautés tachées, décision de l’action, doute et étendue de la pensée, élégance des caprices les plus hasardés, Satan défié et moqué par une ame neuve, voilà les qualités et les inclinations que le talent de M. Alfred de Musset avait servies jusqu’à ce jour. Tout cela a été trop habilement et finement montré à propos de la première livraison du Spectacle dans un fauteuil, pour qu’on doive y insister davantage.

Nous aimons franchement cette verve entreprenante, peu émue pour les ruines qu’elle fait, et courant toujours au dénouement de toutes les aventures et de tous les secrets, parce que nous y voyons la personnification naïve de l’activité juvénile qui fait hennir le siècle,. Nous voudrions même l’aiguillonner encore et la heurter plus directement contre les barrières où l’on nous tient parqués, bien sûrs que sa corne serait efficacement tournée à cette œuvre d’émancipation.

Dès le commencement, M. de Musset a prodigué assez d’ironie et de passion pour faire voir qu’il a le mépris de bien des choses et le désir du