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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

sa querelle avec Manzoni est secondaire. Tous deux combattent sur un terrain borné. Je n’ai cité la Morale catholique, ouvrage ingénieux, mais peu concluant, que pour justifier ce que je disais en commençant, que Manzoni a fait acte de théologie.

Flétrir du nom d’impie toute tentative de réforme dans le domaine de la foi, c’est nier positivement le progrès, c’est prétendre par conséquent pétrifier l’esprit humain dans une forme usée et nécessairement transitoire. L’école catholique de France est plus avancée, car elle, du moins, admet le dogme du progrès ; il est vrai qu’elle conserve le dogme de l’infaillibilité papale, ce qui implique, ce me semble, contradiction, car les deux dogmes s’excluent réciproquement et se détruisent l’un l’autre. Ainsi donc, si Manzoni est moins avancé, il est plus logique et plus conséquent ; j’aime mieux cela ; sa position est plus franche, et partant plus facile à assiéger dans les règles. Les autres vous échappent toujours par quelque concession ; ils combattent comme les Parthes, en fuyant. L’anarchie est grande dans ce camp-là.

Le malheur de Manzoni est d’être un homme de transition, et, cette position étant donnée, d’avoir tourné les yeux vers le passé plus que vers l’avenir ; de ce côté-là pourtant il y a des sujets de contemplation ; et si beaucoup d’étoiles s’éteignent, il en pointe déjà quelques-unes. Manzoni est tombé en cela dans la contradiction de nos romantiques de la restauration, qui, en brisant les vieux moules, ont bien fait marcher la forme, mais rétrograder l’esprit.

Son erreur fondamentale, surtout comme artiste, et le reproche s’adresse aussi aux autres, est d’avoir cru qu’il y avait de la poésie dans ce qui n’a pas même de vie. Au lieu d’ouvrir des horizons, il a borné le sien aux plus étroites dimensions, et s’est retranché, si je l’ose dire, dans un petit coin de l’humanité.

De là vient que ses types manquent de grandeur, ses conceptions d’intérêt. De là vient encore sa théorie des passions, théorie erronée et par trop puritaine[1]. Il pousse le rigorisme jusqu’à

  1. Il paraît que son puritanisme n’a fait qu’augmenter et qu’il l’a poussé à ses dernières limites. Voici ce qu’on lit dans la relation d’une visite récemment faite au poète milanais, par un professeur allemand, M. Charles de Wite ; « Manzoni, c’est M. Wite qui parle dans un journal de Leipsick, Manzoni avait préparé une ré-