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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

bornent à quelques mots, à quelques locutions populaires introduites par lui de la langue parlée dans la langue écrite, et quant aux gallicismes que les puristes lui reprochent, il ne nous appartient pas à nous autres Français de lui en faire un crime. C’est une querelle à vider entre lui et les fougueux champions de la vénérable Crusca.

Une chose peu sensible, sinon perdue pour les étrangers, ce sont les allusions politiques dont le livre est plein, et qui n’ont pas peu contribué à son succès en Italie. Manzoni a peint la domination espagnole à Milan ; mais où l’auteur met espagnol, le lecteur met de lui-même autrichien, et l’ouvrage s’élève par-là à un intérêt tout actuel. C’est ainsi que sa critique ou plutôt sa parodie de l’ordre judiciaire s’applique aussi bien aux sbires d’aujourd’hui qu’aux sbires du xviie siècle, époque où l’action se passe. Que l’auteur l’ait ou non entendu ainsi, ce n’en sont pas moins là autant d’élémens d’un succès national.

Cet élément national se retrouve dans tout un côté des tragédies dont je n’ai point encore parlé, dans les chœurs. Ce n’est pas le lieu de traiter ici ex professo la théorie du chœur dans la tragédie moderne ; cette question m’entraînerait trop loin. Je prends donc les chœurs de Manzoni tels quels, c’est-à-dire comme de belles poésies lyriques.

Chacun d’eux en effet est une ode, et je crois qu’ils ont contribué plus que tout le reste, surtout en Italie, au succès de l’Adelchi et du Carmagnola. C’est que l’ode et non le drame est le véritable genre de Manzoni, l’ode est son triomphe. C’est une nature lyrique, et il en convient lui-même à la fin de la préface du Carmagnola, lyrique par le fond et plus encore par la forme. La strophe, qui pour d’autres est une entrave, est une aide pour lui. Elle soutient sa pensée, et sa pensée s’y moule, s’y cristallise. La rigueur d’une forme imposée lui est si peu incommode, lui paraît si naturelle, que la liberté du vers blanc semble l’embarrasser ; la rime pour lui est vraiment une muse.

Carmagnola n’a qu’un seul chœur ; Adelchi en a deux. Le dernier, celui des vierges de Saint-Sauveur, sur la mort d’Ermengade, est un modèle de grâce naïve et de pure mélancolie. L’autre, plus mâle et singulièrement harmonieux, est empreint aussi de mélan-