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termes de la société féodale debout encore en plus d’un lieu. Le livre de Manzoni est la réhabilitation du premier terme, le prêtre. C’est en ce sens que l’ouvrage a une valeur philosophique et une intention sociale.

Voilà pour le fond ; quant à la forme, ce roman participe des qualités et des défauts du drame. À force d’exactitude, l’auteur tombe dans la minutie. Il est un peu trop descriptif à la manière de Delille ; peint-il un homme, il ne vous fait pas grâce d’une veine ; un costume, pas grâce d’un bouton. Son procédé général, et il y excelle, est d’exprimer les mouvemens intérieurs de l’ame par les manifestations extérieures du corps ; l’épisode de la Signora est un chef-d’œuvre en ce genre.

À propos de ce personnage tout épisodique de la religieuse de Monza, je ferai remarquer que ce qu’il y a de plus intéressant dans le livre, ce sont les épisodes ; c’est ainsi que la figure de l’Innominato est la plus dramatique de toutes ; on regrette qu’elle n’ait pas une plus large place dans l’action. J’en dirai autant du moine Cristoforo, personnification noble et touchante de la charité chrétienne et de cette humilité timorée qui naît du repentir.

Mais pour revenir aux manifestations externes dont Manzoni, à l’exemple de l’Arioste, paraît s’être fait un système, il en résulte bien quelquefois des longueurs, mais celles-là du moins ne sont pas inutiles, et je ne m’en plaindrai pas trop. Où la lenteur est plus sensible et maintes fois dépitante, c’est dans le dialogue. Le même reproche s’adresse aux drames : ici comme là, le dialogue manque de mouvement et de vivacité. Le roman rachète ce défaut par une simplicité champêtre et une naïveté villageoise qui n’est pas sans charme. Malicieux, retors, subtil et un peu poltron, le paysan italien est pris sur nature et peint à merveille ; Manzoni, dont l’esprit, quoi qu’il fasse, est tourné à l’épigramme, et qui pis est à la satire, s’est mis là à son aise, et il raille en liberté.

Il m’a semblé seulement, mais peut-être n’est-ce là qu’une illusion de mon inexpérience d’étranger, il m’a semblé que sa prose, si sobre, si chaste qu’elle soit, avait dans l’allure quelque chose d’irrésolu, et pour ma part je préfère son vers ; je le trouve plus net, plus concis, plus plein. Son roman, tel qu’il est, n’en est pas moins une excellente étude de langue. Les idiotismes lombards se