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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

légat qui décide Charlemagne à la conquête, c’est le diacre qui lui ouvre les Alpes. Que si maintenant le poète m’objecte qu’il ne s’agit dans sa pièce que de la papauté, point de l’Italie, et que Charlemagne vient protéger le pape Adrien menacé par Didier, la question se complique, et l’on tombe de difficultés en contradictions.

Dans ce cas, il aurait dû poser plus nettement la question de civilisation, et surtout, chose importante, ne point méconnaître Charlemagne, l’artisan providentiel de cette civilisation, jusqu’à le déshonorer. Comment n’a-t-il pas senti, lui qui est si bon catholique, qu’en rabaissant à de telles proportions l’allié, le vengeur de la papauté, il rabaissait la papauté elle-même ? Et puisqu’il voulait montrer le pape disposant temporellement de l’Italie et en ouvrant les portes à l’étranger, il devenait urgent de bien montrer aussi d’abord qu’il avait ce droit, puis en vertu de quoi et dans quel but il l’exerçait. Il fallait établir nettement l’identité des intérêts de Rome et de l’Italie, et personnifier en un mot le peuple dans le pape. Il fallait surtout, je le répète, et j’insiste, il fallait renoncer à présenter Charlemagne sous les traits d’un conquérant sans grandeur et sans idée qui a bonne envie de ceindre pour son propre compte la couronne de fer.

Je ne dis pas que cette vue historique soit fausse en tous points, je la crois au contraire très soutenable et très propre à un magnifique drame social ; mais il convenait de la dessiner d’une manière plus explicite, et quoi que je fasse, j’arrive toujours à cette conclusion, que dans un cas comme dans l’autre la tragédie est défectueuse.

L’œuvre dramatique de Manzoni se bornant à ces deux pièces, j’ai pu et dû en faire un examen un peu développé. Le lecteur français sera mieux au fait, et les Italiens n’auront pas lieu de se plaindre que j’aie affirmé sans prouver. Je me résume et je maintiens que le drame de Manzoni manque aux deux lois fondamentales du théâtre, le pathétique et la terreur. L’action n’y est jamais pressante, l’intérêt jamais saisissant. Ce n’est guère qu’une suite de tableaux plus ou moins noués avec une fin plutôt qu’un dénouement. C’est là du reste le défaut capital du drame de succession. Il côtoie de si près la chronique, qu’il y tombe souvent et se confond avec elle.