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risque, en choisissant des sujets en dehors de sa nature, de violer à la fois et les lois de l’histoire et les lois du cœur humain.

Quelques-uns des reproches faits au Carmagnola vont à l’adresse de L’Adelchi[1] ; mais l’Adelchi en mérite d’autres qui lui appartiennent en propre. Le sujet de la pièce est la défaite du roi Didier par Charlemagne et la chute de la dynastie lombarde, sujet, comme on voit, bien plus épique que dramatique. Adelchi est le fils de Didier ; il voit les fautes de son père, il les déplore ; mais enfant soumis, il obéit : c’est le génie en seconde ligne, le génie subalternisé, obligé d’exécuter ce qu’il condamne. Tout l’intérêt dramatique repose sur cette antithèse. Voir qu’on fait mal et cependant faire. Adelchi est une espèce de métaphysicien par trop germanique. Il tient du Hamlet et du Posa ; il rêve comme le premier ; il se berce comme le second de nobles utopies morales, et pendant ce temps l’armée française route du haut des Alpes, entraînant dans ses flots débordés, père, trône et dynastie.

Il y a dans la pièce une figure touchante, c’est Ermengarde, la fille de Didier, la femme répudiée de Charlemagne. Ces frêles destinées, jetées au milieu de la rumeur des camps, sont d’un effet simple et beau, et quoique les tendres regrets de l’épouse répudiée rappellent trop, sans les égaler, ceux de la reine Catherine dans le Henri viii de Shakspeare, cependant ils ont un charme propre, une grâce onctueuse qui repose de la soldatesque.

Seulement je regrette que ce ne soit là qu’un épisode et qu’Ermengarde ne soit pas plus mêlée à l’action. On pourrait retrancher tout le rôle sans que la suppression parût ; or, si l’épopée tolère, sollicite même l’épisode, je crois qu’il est de la nature du drame de la repousser. Celui dont il est question, pour me borner à l’espèce, allanguit d’autant plus l’action que ce n’est pas le seul de la pièce, car je ne saurais en vérité quel autre nom donner à cette description des Alpes, si belle et poétique qu’elle soit d’ailleurs, qui tombe au milieu du second acte. Elle a plus de cent vers et rompt toutes proportions théâtrales. Ce n’en est pas moins en soi, je le répète, un fort beau morceau de poésie, empreint d’un vif sentiment de la nature alpine ; son seul tort est de n’être pas à sa place.

  1. 1823.