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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

table et tournait à l’embonpoint, ce qu’on ne dirait pas aujourd’hui à le voir si sobre et si maigre.

C’est à cette époque que Monti, Mécène intéressé des jeunes gens qui l’admiraient, commença à connaître Manzoni et à le protéger. Il lui corrigeait ses vers et souvent les gâtait, comme cela m’a été affirmé par un juge très compétent qui a vu les ratures et les corrections.

Des cinquecentisti Manzoni monta à Dante et l’admira profondément et spontanément, avant que ce fût la mode et que la mode par conséquent lui imposât l’admiration. C’est devenu aujourd’hui une contagion ridicule, non qu’Alighieri ne soit digne du culte de l’Italie, mais parce que la grande masse de ses adorateurs, et des plus chauds, adorent par imitation, adorent sur parole, maintes fois sans comprendre, et embouchent la trompette des louanges, comme l’âne embouchait la flûte.

Manzoni s’était épris des poètes du xvie siècle, il fut fou d’Alfieri ; il embrassa tous ses délires. Il raconte fort plaisamment son enthousiasme enfantin ; une seule chose lui semblait dure à digérer, c’est que le père dût assommer ses enfans pour les soustraire à la tyrannie[1]. « Cependant, dit-il, j’avalai encore celle-là. » Il avait alors vingt ans. Il voit aujourd’hui Alfieri avec de bien autres yeux, sans cesser toutefois d’en faire cas.

Manzoni vint à Paris au commencement du siècle, et il y séjourna quelque temps avec sa mère et l’ami de sa mère, le comte Charles Imbonati. Il se lia dès lors d’amitié avec M. Fauriel auquel il a plus tard dédié sa tragédie de Carmagnola. Il se lia aussi avec la veuve de Condorcet qui même donna à sa mère un volume de poésies de Voltaire avec des corrections autographes. Ce volume avait été donné par Voltaire lui-même à Turgot, et par Turgot à Condorcet. Il est curieux surtout en ce qu’il contient une pièce italienne de la façon d’Arouet, dont la plupart des vers sont énormément défectueux. L’accent y est toujours censé tomber sur la dernière syllabe, et suivant le système français amore rime avec rè, onestà avec regina, ce qui, en Italie, est une monstruosité.

Charles Imbonati mourut à Paris, laissant toute sa fortune à la

  1. Alfieri, dans la Tirannide et la Virginia.