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des Latins ; ses écrits en font foi. Virgile, plus que tout autre, lui va au cœur ; pour Horace, il le goûte peu, Ovide encore moins, mais il aime Tibulle et l’a beaucoup lu. Ennius lui paraît la poésie originale de Rome. Il se sentit poète de bonne heure. Ce fut Monti qui, à ce qu’il semble, lui donna la secousse électrique et fit jaillir l’étincelle. Un jour que l’illustre poète assistait aux examens du collége, Manzoni, qu’un défaut de langue qu’il a encore aujourd’hui empêchait de paraître, trouva le moyen de s’approcher de lui, et lui saisissant la main, il la baisa en pleurant. Bien des années après, il rappela le fait à Monti qui lui dit en avoir perdu le souvenir. Il est probable qu’il l’avait gardé, mais il craignit sans doute de montrer une si longue mémoire dans la vanité.

Les deux poètes se lièrent plus tard, et quoique leur amitié se refroidît ensuite, et il faut rendre à Manzoni la justice de dire que ce ne fut point par sa faute, il ne parla jamais de Monti qu’avec une admiration vraie et point jouée. Ce qu’il loue en lui surtout, c’est l’évidence, mérite qui manque à l’obscur Parini, et la franchezza qui est donnée à si peu.

La première vocation de Manzoni fut lyrique ; il s’éprit beaucoup d’abord de ces vieux poètes du xvie siècle, le cardinal Bembo, monsignor de la Casa, Louis Alamanni, qui tous alors s’étudiaient à ramener le sonnet classique et les canzoni au goût de Pétrarque ; Casa surtout, le moins mou de tous après Michel-Ange, était son homme. Les premiers vers inédits de Manzoni se ressentent de ces premières affections ; ils sont paisibles, corrects, élégans, qualités propres aux cinquecentisti, mais empreints d’un sentiment plus délicat et plus fin.

Il visita alors une partie de la Lombardie et du pays vénitien ; il vit le jésuite Bettinelli à Mantoue. Il raconte en souriant la gravité principesque avec laquelle le reçut ce révérend critique qui se moqua tant de Dante. Quant à Cesarotti, qui alors tenait en Italie le sceptre de la critique, je veux dire la férule, il ne le vit point ; il en avait pourtant un ardent désir, mais il n’osa. Il séjourna quelque peu à Venise, et il en parle le dialecte en plaisantant. Pendant ce temps il faisait de l’art, comme on dit aujourd’hui, lisant et relisant ses chers vieux lyriques, et en ramassant autant qu’il en trouvait sur les murs des bouquinistes. Comme son aïeul Beccaria, il aimait la