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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ITALIE.

grand corps de l’humanité, un organe plus ou moins parfait de la pensée universelle. Sa voix est un écho plus ou moins retentissant de la grande voix humaine ; il vit de la vie de tous, il agit sous l’inspiration du siècle, il pense avec lui, il écrit sous sa dictée. C’est un arbre qui monte au ciel, mais qui reçoit d’en bas sa sève et sa force ; il touche aux nues, mais il tient au sol, et sa tête s’élance d’autant plus haut que les racines plongent plus profondément dans les entrailles de la terre, mère commune de l’humanité. C’est là la biographie sociale, l’autre est la biographie individuelle.

Chacun des deux systèmes a ses périls ; l’un tend trop à effacer la personnalité, l’autre à l’exagérer. L’individu sans doute doit être subordonné à l’espèce, mais l’individu veut être respecté, sans cela même il n’y a point de biographie, il n’y a plus que de l’histoire. Écrire une biographie, c’est faire acte de respect pour l’individualité ; mais ce respect a des bornes, il ne doit point aller jusqu’à assujétir la partie au tout.

Il ne s’agit plus de fabriquer des grands hommes pour les démolir. Il ne faut ériger en système ni l’apothéose, ni l’atténuation ; l’une et l’autre manquent de justesse et plus souvent encore d’équité, procédant d’instincts passionnés plus que d’instincts réfléchis. Le devoir du biographe est d’avoir des balances justes et de peser fidèlement l’œuvre de chacun, afin de payer à chacun son tribut, et de rendre à l’individu ce qui appartient à l’individu, à l’espèce ce qui appartient à l’espèce.

Il est clair que si pénétré que soit l’auteur de la vérité de ces principes préliminaires, il ne se flatte pas d’avoir su dans l’application concilier les systèmes et qu’il n’a pas surtout l’insoutenable fatuité de se proposer en exemple. On voit ce qui est bien, on y aspire, on y atteint rarement ; et ce sentiment d’impuissance n’est pas la moindre des douleurs humaines.

Des talens éminens ont pratiqué la biographie avec distinction ; ils ont peuplé de statues infiniment belles le musée littéraire, et certes voilà les maîtres ; on ne vient pas après eux sans timidité, sans inquiétude ; on peut différer de vues, ne pas tendre au même but, mais on n’en craint pas moins, on n’en craint que plus peut-être de redoutables comparaisons.