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inférieurs d’une orthodoxie surannée, pour accomplir obscurément de stériles pratiques ; apparemment on n’attendait pas de lui qu’il calculât les petites chances d’un avancement ecclésiastique : que pouvait-on faire pour lui ? Pape, il eût été moins grand que prêtre breton, que prophète de liberté, que vengeur de l’Évangile et de Jésus-Christ. Laissez chanter le poète divin ; laissez-le devenir la proie fatale et l’harmonieux écho d’un génie qui ne s’appartient pas : il est ravi hors de lui-même ; Christ le remplit et le subjugue ; il lui ordonne de proclamer son nom et sa vertu sur les ruines de son culte méconnu, de flageller ces Pharisiens superbes, ces brocanteurs nouveaux qui encombrent le temple, de fouiller ces sépulcres blanchis et d’en montrer à tous le vide et l’hypocrisie. Écoutez tous, rois et puissans de la terre, votre jugement et votre sentence ! Société égoïste et corrompue, tu seras traînée aux pieds d’un prêtre pour entendre ta condamnation. Tes usages, tes lois, tes superstitions et tes préjugés seront flétris. Le croyant demandera compte à tous de la pratique de l’Évangile ; avez-vous été fidèles à votre maître divin, à son livre, à sa loi ? Vous êtes muets d’un étonnement stupide, parce que ce prêtre a jeté sur vous l’anathème : mais c’était son devoir, il ne pouvait pas être modérément chrétien. S’il a tout réprouvé, la société telle qu’elle est faite, la constitution de la propriété, l’organisation de l’industrie, l’église, l’armée, c’est qu’il est embrasé d’un immense amour du Christ et de l’Évangile. La passion qui l’anime le remplit de fureur contre les hommes qui rendent inutile la passion de son Sauveur. Oh ! que ce prêtre a souffert au pied de la croix ! C’est après y avoir usé ses genoux et rongé son cœur qu’il s’est levé pour donner des accens de colère et de vengeance à son amour des hommes et de Dieu. Voilà comment il faut comprendre les Paroles d’un Croyant ; ce n’est pas un livre de fantaisie littéraire, c’est une œuvre de fatalité : l’homme qui fait ces choses y était prédestiné, et quand il les a faites, il se tient debout au milieu des hommes dans sa douleur et sa majesté.

Nous sommes d’autant mieux placés pour expliquer ainsi M. de La Mennais que nous n’appartenons pas à son école chrétienne. Il est dans nos habitudes de mettre non pas l’humanité dans le christianisme, mais le christianisme dans l’humanité, Mais outre