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LES EXCENTRIQUES.

absolument être vêtu en oiseau. Propriétaire du château de Rocliffe près d’York, on le vit, à soixante ans, se promener dans les champs et sur les grandes routes, avec une veste très longue, couverte de plumes de toutes les espèces d’oiseaux, un chapeau rouge et vert dont la coiffe ronde se moulait sur la tête et portait d’immenses bords faits de plumes de paon qui s’agitaient comme des ailes. Sa culotte de soie noire portait, sur le côté, une série de petites rosettes rouges semblables à des crêtes de coq. Ses bas de soie bleu foncé étaient tachetés de points rouges et violets semblables aux yeux de la queue d’un paon ; il se servait, pour souliers, de peau de chagrin rouge qui les faisait ressembler aux pattes d’une oie. Pour compléter l’étonnement des voisins, il se promenait dans cet accoutrement à cheval, sur un taureau. Il avait de l’horreur pour tous les métaux, et il s’était fait construire une calèche d’osier toute recouverte de grandes plumes d’autruche. Ce qu’il y a de plus bizarre, c’est que dans l’administration de ses affaires et même dans ses actes de charité, cet homme était très sage. Il a écrit un ouvrage sur les oiseaux, ouvrage utile et vraiment remarquable.

Cet homme volatile vous plaît-il ? — Je vais vous montrer l’homme devenu lion rampant.

Les plus savans ministres de l’église anglicane, Porson, Bentley, Parr, sont de parfaits excentriques. Harvest, théologien qui a laissé d’excellens traités, se trouvait à Calais, avec un de ses amis. L’enseigne de l’auberge où ils étaient descendus représentait un lion d’argent rampant. Il alla se promener seul sur le rempart, s’égara, et ne sachant pas le français, il imagina d’imiter l’attitude du lion rampant de son auberge, de placer un shelling entre ses dents et de se promener dans cet équipage et cette attitude à travers la ville. C’était attribuer infiniment trop d’esprit aux habitans. On le prit pour un fou, on l’arrêta. Le même ecclésiastique, ayant un jour apporté trois sermons manuscrits dans sa poche, les laissa sur une table. Un de ses amis entra, et déplaçant toutes les feuilles des trois manuscrits, les mêlant ensemble, les dispersa de manière à ce que rien ne se suivît plus ; le lendemain, Harvest monta en chaire, et se mit à lire ce sermon bizarre, sans s’apercevoir que ce qu’il disait n’avait pas le sens commun.