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STATISTIQUE PARLEMENTAIRE.

réelle qu’il pourrait exercer sur les destinées actuelles du pays. On ne marche pas avec des souvenirs et des ressentimens ; on peut bien flétrir l’ingratitude ; toutefois une nation ne s’identifie pas tellement avec la position d’un homme, qu’elle se préoccupe exclusivement des plaintes qu’il peut justement élever et des désappointemens qu’il a éprouvés.

Je place M. Mauguin dans une position plus largement parlementaire ; c’est, à mon avis, l’orateur qui a le plus grandi depuis la révolution de juillet, et dans la dernière session surtout. M. Mauguin avait débuté par un talent de déclamation facile et peu profitable pour un parti. Se jetant sans notions bien précises dans les affaires étrangères, il parcourait l’Europe avec une facilité qu’on peut toujours acquérir avec l’intelligence matérielle d’une carte. Rien de plus aisé que de refaire les démarcations des états, de grouper les peuples, ou de parquer les nations. Aussi très souvent M. Mauguin s’était vu justement démenti par les faits ; un ministre habile pouvait toujours répondre à ses argumens dénués de preuves visibles et entièrement puisés dans cette connaissance superficielle des affaires que tout homme d’esprit possède. Depuis, M. Mauguin a pris une attitude plus réfléchie ; dans la dernière session il a été remarquable non seulement de verve, ce que personne ne lui a jamais contesté, mais encore par l’intelligence parfaite des questions dont il parlait ; c’est le député qui, de l’aveu de tous les bons esprits, a le plus embarrassé les ministres. Et pourquoi ? C’est que M. Mauguin est l’homme qui s’effraie le moins de ces petites impertinences ministérielles, qui viennent secouer l’enthousiasme des centres, dominant de leur hourra les observations de la minorité ; il ose regarder M. Thiers en face, et c’est quelque chose au milieu d’une majorité qui ne comprend pas une haute et forte indépendance. Il y a aussi un côté qui me plaît dans le talent de M. Mauguin, c’est qu’il a renoncé une fois pour toutes à ses protestations de dévouement envers la dynastie et la charte, formes sociales qu’on ne s’est pas indéfiniment imposées et qui peuvent passer comme toute chose, sans pour cela affecter le moins du monde la société, seule éternelle, seule souveraine sur elle-même. M. Mauguin dit et fait les affaires indépendamment de cette phraséologie ; après M. Berryer, je crois que c’est l’orateur qui possède la voix et le geste le plus puissant sur l’assemblée. Je ne sais pas ce que M. Mauguin ferait dans un ministère, s’il aurait une aptitude de cabinet comme une faculté de tribune, mais je le place au-dessus de tous ses collègues, parce que c’est le talent le plus parlementaire, le plus en dehors de toutes les petites considérations, de toutes les petites intrigues. Encore quelques études de fait, quelques connaissances plus sérieuses des hommes et des choses, et M. Mauguin n’aura pas de second.