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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

revint à l’idée de se battre. Comme il le disait tout haut à de Nesle dans la cour du logis du roi, et que les pages en riaient, Racan le prit à part pour le calmer ; mais il n’en put tirer autre que la réponse déjà faite à Balzac. Le vieux poète, mal accueilli de la jeune cour, s’en revint tristement à Paris, ayant au cœur le germe de la maladie dont il devait mourir cette même année, 1628. Sa fin ressembla au reste de sa vie. Plus d’une fois ses yeux mourans cherchèrent Racan à ses côtés. Mais il l’avait laissé à La Rochelle où il commandait les gendarmes du maréchal d’Effiat.

Lorsqu’on lui parla de se confesser (c’est Yvrande qui le racontait à Racan), il répondit qu’il n’avait l’habitude de le faire qu’à la Toussaint, et comme on lui représenta qu’il avait toujours fait comme les autres, et que les autres se confessaient avant de mourir : — « Je veux donc aussi me confesser, répliqua-t-il, je veux aller où vont les autres. » Il envoya quérir le vicaire de Saint- Germain l’Auxerrois.

Une heure avant de mourir, il se réveilla tout à coup en sursaut. Il n’avait pas entendu, comme Mirabeau, le canon qui annonçait les funérailles d’Achille ; c’était tout simplement sa garde qui se servait d’un mot impropre. On lui recommanda de se tenir en repos : « Laissez, dit-il, je maintiendrai jusqu’au bout la pureté de la langue française. » Ce furent à peu près ses dernières paroles. Elles résument toute sa vie.

Placé entre les aventureux disciples de l’école de Ronsard et les pacifiques créateurs du grand siècle, Malherbe parut comprendre qu’à cette littérature qui allait naître d’une ère moins orageuse dans sa grandeur que l’âge qu’il voyait finir, il fallait une langue. Ce fut sa gloire d’avoir créé cette langue. Son tort fut de croire qu’une langue était à elle seule toute une poésie. Mais ainsi va l’esprit humain. On n’est fondateur qu’à la condition d’abaisser toute idée devant celle que l’on édifie, et de ne reconnaître à l’édifice d’autre base que la pierre que l’on a posée. Né à une époque où il y avait encore quelque chevalerie dans les ames, il semble que Malherbe ait cherché autour de lui, en l’honneur de qui il ferait la veille des armes, et que, voyant cette pauvre langue de France en proie aux téméraires innovations de Ronsard, il en ait eu pitié, et se soit dévoué à la servir.