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cions M. Sainte-Beuve d’avoir été pieusement recueillir les belles inspirations de Ronsard jusque sous les ratures de Malherbe.

Veut-on savoir jusqu’à quel point Malherbe était jaloux de l’autorité qu’il exerçait dans son école ? Un bonhomme d’Aurillac, où Maynard était président, s’en vint un soir frapper à la porte du cénacle, demandant si monsieur le président n’y était pas. « De quel président me parlez-vous ? dit brusquement le maître en se levant, il n’y a que moi qui préside ici. »

Pour rendre plus docile à ses leçons l’esprit de ces honnêtes gentilshommes, il leur disait que c’était folie de vanter sa noblesse, et de peur que le marquis de Racan ne fut tenté de lui remontrer quelque chose, et de l’interpeller du haut de son donjon de Touraine, il ajoutait, s’adressant à lui, que plus cette noblesse était ancienne, plus douteuse elle était.

Il serait ridicule de voir dans l’école de Malherbe une sorte de sénat souverain institué pour fonder une constitution grammaticale et poétique, une Sorbonne littéraire établie pour résoudre les cas de conscience en poésie. Non, c’était simplement une réunion d’esprits sages et éclairés, assemblés pour deviser entre eux du droit d’initiative de l’écrivain en fait de langage, et de l’autorité constitutionnelle du génie. L’œuvre linguistique de Malherbe n’est pas un ensemble de lois et d’ordonnances, et à ceux qui lui conseillaient d’écrire une grammaire, il répondait fièrement qu’on n’avait qu’à lire sa traduction du trente-troisième livre de Tite-Live. Ses oracles se formulaient au hasard, selon le moment, en critiques ou en conseils, le plus souvent en brusques saillies et en bons mots. Lui demandait-on son avis sur la légitimité de quelque mot, il renvoyait aux crocheteurs du Port-au-Foin. À part le tour comique du conseil, Malherbe, par cette boutade, ne traçait-il pas nettement à la langue qui pliait sous le poids des stériles conquêtes de Ronsard, la voie toute nationale qu’elle devait suivre ? N’était-ce pas aussi la défendre des funestes importations du pédantisme, que de proscrire les vers latins dont les érudits de l’époque inondaient le Parnasse, comme on dit ? — « Ah ! disait souvent Malherbe, si Virgile et Horace revenaient, comme ils donneraient le fouet à Bourbon et à Sirmond ! » Ne croyez pas cependant qu’il eût les anciens en grande vénération. L’inspiration pindarique n’était pour