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UN VAISSEAU À LA VOILE.

gateurs, se sont effacés et amoindris les espaces de notre globe terrestre. Un télescope de récente invention[1], et de puissance vraiment prodigieuse, vient de nous montrer la lune à une distance qui, même sur la terre, ne serait pas fort considérable, celle d’Athènes à Constantinople. Encore un pas, et nous pourrons toucher ses montagnes de nos mains, et nous plongerons à loisir nos regards au sein de ses profondes vallées, de ses volcans enflammés. Les taches dont se trouve souillée la splendeur du soleil ne nous sont pas moins visibles que les légers nuages flottant dans notre propre atmosphère ; son poids, sa densité, ses dimensions de toutes sortes nous sont aussi familières que celles du caillou qui roule sous nos pieds. Les étoiles semées dans l’immensité, comme le sable sur nos rivages, ont été nommées et comptées. Du sein des profondeurs de l’espace, où les va chercher notre avide curiosité, d’où elle les a, pour ainsi dire, arrachées, elles nous ont d’abord apparu comme autant de faibles points lumineux, à peine visibles, presque imperceptibles. Mais à l’aide de l’instrument déjà cité, ces étoiles qui naguère n’étaient encore que de simples points lumineux, à leur tour nous les décomposons : chacune d’elles se brise en plusieurs autres étoiles, qui doivent être, suivant toute probabilité, autant de soleils, autant de centres de systèmes planétaires semblables à celui auquel appartient notre terre : à cet appel de la science humaine, soleils et mondes sortent incessamment de l’abîme, en myriades aussi nombreuses qu’ils en jaillirent autrefois au son tout-puissant de la parole créatrice.

Ce n’est pas moins vainement toutefois que s’élargissent ainsi presque indéfiniment les limites de l’univers matériel. Tout vaste, tout immense qu’il soit, il ne saurait emprisonner nos désirs et nos pensées. De notre globe, navire emporté çà et là par un souffle inconnu dans l’océan de la création, nous ne cessons de chercher d’un œil inquiet, d’appeler de nos ardens désirs, ces rivages de l’infini et de l’éternité où nous savons qu’il nous sera donné d’aborder un jour.

Barchou de Penhoën.
  1. Le télescope dont il est ici question, construit à Leipzig, surpasse en grandeur et en puissance les plus grands télescopes connus jusqu’à présent : il grandit les objets plus de mille fois.