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LES ÂMES DU PURGATOIRE.

temps. Arrivé à Séville, il éblouit petits et grands par son faste et sa magnificence. Tous les jours il donnait des fêtes nouvelles où il invitait les plus belles dames de l’Andalousie. Il n’y avait sorte de plaisirs qu’on ne trouvât dans son magnifique palais ; il était devenu le roi d’une foule de libertins qui, désordonnés et indisciplinables avec tout le monde, lui obéissaient avec cette docilité qui se trouve trop souvent dans les associations des méchans. Enfin il n’y avait pas de débauche dans laquelle il ne se plongeât, et comme un riche vicieux n’est pas seulement dangereux pour lui-même, son exemple pervertissait la jeunesse andalouse qui l’élevait aux nues et le prenait pour modèle. Nul doute que si la Providence eût souffert plus long-temps ces excès, il n’eût fallu une pluie de feu pour faire justice des désordres et des crimes de Séville. Une maladie qui retint don Juan dans son lit pendant quelques jours, ne lui inspira pas de retour en lui-même. Au contraire, il ne demandait à son médecin de lui rendre la santé qu’afin de courir à de nouveaux excès.

Pendant sa convalescence, il s’amusa à dresser une liste de toutes les femmes qu’il avait séduites et de tous les maris qu’il avait trompés. La liste était divisée en deux colonnes. Dans l’une étaient les noms des femmes et leur signalement sommaire, à côté le nom de leurs maris et leur profession. Il eut beaucoup de peine à retrouver dans sa mémoire les noms de toutes ces malheureuses, et il est à croire que ce catalogue était loin d’être complet. Il le montra un jour à un de ses amis qui était venu lui rendre visite ; et comme en Italie il avait eu les faveurs d’une femme qui osait se vanter d’avoir été la maîtresse d’un pape, la liste commençait par son nom, et celui du pape figurait dans la liste des maris. Venait ensuite un prince régnant, puis des ducs, des marquis, enfin jusqu’à des artisans.

— Vois ! mon cher, dit-il à son ami ; vois, nul n’a pu m’échapper depuis le pape jusqu’au cordonnier : il n’y a pas une classe qui ne m’ait fourni sa quote part.

Don Torribio, c’était le nom de cet ami, examina le catalogue, et le lui rendit en disant d’un ton de triomphe : Il n’est pas complet !

— Comment ! pas complet ? Qui manque donc à ma liste des maris ?