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dans les orgies auxquelles il prenait part, il serait cause que la réputation de dona Teresa en recevrait des atteintes, car, disait-il, il n’y a qu’un amour très violent et satisfait qui se contente d’une seule femme. En outre, la mauvaise compagnie dans laquelle don Juan était plongé ne lui laissait pas un moment de repos. Il paraissait à peine dans les classes, ou bien, affaibli par les veilles et la débauche, il s’assoupissait aux doctes leçons des plus illustres professeurs. En revanche, il était toujours le premier et le dernier à la promenade, et quant à ses nuits, il passait régulièrement au cabaret ou en pire lieu celles que dona Teresa ne pouvait lui consacrer.

Un matin il avait reçu un billet de cette dame, qui lui exprimait le regret qu’elle avait de ne pouvoir le recevoir la nuit. Une vieille parente venait d’arriver à Salamanque, et on lui donnait la chambre de dona Teresa ; elle devait coucher dans celle de sa mère. Ce désappointement affecta très médiocrement don Juan, qui trouva bientôt le moyen d’employer sa soirée. Au moment qu’il sortait dans la rue, préoccupé de ses projets, une femme voilée lui remit un billet ; il était de dona Teresa. Elle avait trouvé moyen d’avoir une autre chambre, et avait tout arrangé avec sa sœur pour un rendez-vous. Don Juan montra la lettre à don Garcia. Ils hésitèrent quelque temps ; puis enfin, machinalement, et comme par habitude, ils escaladèrent le balcon de leurs maîtresses et passèrent la nuit avec elles.

Dona Teresa avait à la gorge un signe assez apparent. Ce fut une immense faveur que reçut don Juan la première fois qu’il eut la permission de le regarder. Pendant quelque temps il continua à le considérer comme la plus ravissante chose du monde. Il le comparait tantôt à une violette, tantôt à une anémone, tantôt à la fleur de l’alfalfa. Mais bientôt ce signe, qui était réellement fort joli, cessa, par la satiété, de lui paraître tel. — C’est une grande tache noire, voilà tout, se disait-il en soupirant. C’est dommage qu’elle se trouve là. Parbleu, c’est que cela ressemble à une couenne de lard. Le diable emporte le signe ! — Un jour même il demanda à dona Teresa si elle n’avait pas consulté un médecin sur les moyens de le faire disparaître. À quoi la pauvre fille répondit en rougissant jusqu’au blanc des yeux qu’il n’y avait pas un seul homme, excepté