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LES ÂMES DU PURGATOIRE.

des étudians : aussi sa mort ne pouvait qu’exciter leur gaîté, et son heureux adversaire fut accablé de complimens. Il était l’honneur, la fleur, le bras de l’université. Sa santé fut bue avec enthousiasme, et un étudiant de Murcie improvisa un sonnet à sa louange dans lequel il le comparait au Cid et à Bernard de Carpio. En se levant de table, don Juan sentait bien encore quelque poids sur son cœur ; mais s’il avait eu le pouvoir de ressusciter don Christoval, je ne crois pas qu’il en eût fait usage, pour ne pas perdre la considération et la renommée que sa mort lui avait acquises dans toute l’université de Salamanque. Le soir venu, des deux côtés, on fut exact au rendez-vous qui eut lieu sur les bords de la Tormes. Dona Teresa prit la main de don Juan (on ne donnait pas encore le bras), et dona Fausta celle de don Garcia. Après quelques tours de promenade, les deux couples se séparèrent fort contens, avec la promesse de ne pas laisser échapper une seule occasion de se revoir.

En quittant les deux sœurs, ils rencontrèrent quelques bohémiennes qui dansaient avec des tambours de basque, au milieu d’un groupe d’étudians. Ils se mêlèrent à eux. Les danseuses plurent à don Garcia qui résolut de les emmener souper. La proposition fut aussitôt faite et aussitôt acceptée. Don Juan, en sa qualité de fidus Achates, était de la partie. Piqué de ce qu’une des bohémiennes lui avait dit qu’il avait l’air d’un moine novice, il s’étudia à faire tout ce qu’il fallait pour prouver que ce surnom était mal appliqué. Il jura, dansa, joua, et but autant à lui seul que deux étudians de seconde année auraient pu faire. On eut beaucoup de peine à le ramener chez lui après minuit, un peu plus qu’ivre et dans un tel état de fureur, qu’il voulait mettre le feu à Salamanque et boire toute la Tormes pour l’empêcher d’éteindre l’incendie.

C’est ainsi que don Juan perdait l’une après l’autre toutes les heureuses qualités que la nature et son éducation lui avaient données. Au bout de trois mois de séjour à Salamanque, sous la direction de don Garcia, il avait tout-à-fait séduit la pauvre dona Teresa ; son camarade avait réussi de son côté huit à dix jours plus tôt. D’abord don Juan aima sa maîtresse avec tout l’amour qu’un enfant de son âge porte à la première femme qui se donne à lui ; mais don Garcia lui démontra sans peine que la constance était une vertu chimérique, et que s’il se conduisait autrement que ses camarades