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émergeait peu à peu du sein des flots, à la vue de Colomb debout sur le pont de son vaisseau. Ses marins naguère mutinés, maintenant agenouillés autour de lui, croyaient voir un dieu dans celui dont ils avaient si long-temps machiné la mort. Le but de sa vie entière, il l’avait atteint, il le touchait pour ainsi dire déjà. Cette terre qui surgissait de l’abîme, il en était comme le créateur ; la vaste pensée qu’il avait si long-temps méditée, il la voyait tout à coup prendre corps et se réaliser dans le monde extérieur. Colomb ressentit peut-être alors quelque chose de ce qu’éprouva Dieu lui-même, lorsqu’au son de sa toute puissante parole, l’univers nouvellement créé s’élevait à ses yeux des profondeurs de l’abîme.

Les rivages de San-Salvador, où l’on était abordé, se montrent bientôt tout couverts de vastes forêts, d’arbres chargés de fruits, d’eaux transparentes, tout embaumés de parfums, étalant comme à plaisir toutes les beautés de la luxurieuse végétation de ces climats. Ils se peuplent d’indigènes qui, d’abord effrayés, se sont retirés dans les forêts, d’où ils sortent peu à peu maintenant pour contempler de plus près les merveilleux étrangers qui viennent les visiter. Colomb descend dans sa chaloupe, et se dirige vers la côte, accompagné des commandans des deux autres navires de l’expédition. Il s’est revêtu d’un riche habit de couleur écarlate, et porte en main l’étendard royal. Arrivé à terre, il se jette à genoux, embrasse le rivage, rend à Dieu de ferventes actions de grâces ; en se relevant, il tire son épée, déploie l’étendard royal, et, remplissant les formalités alors en usage, prend solennellement possession du nouveau continent. On était au 11 octobre 1492 ; le 2 janvier de la même année, ce même étendard royal avait été arboré sur la tour de l’Alhambra, en présence de Ferdinand et d’Isabelle, et de leur armée triomphante. Quelle époque ! et quelles choses accomplies ! Les hommes de ce temps et ceux d’aujourd’hui appartiennent-ils bien réellement à la même race ?

De hardis aventuriers, d’intrépides marins, se lancent incessamment sur les traces de Colomb. Jean de la Cosa, Ojedo, célèbre dans toutes les relations de ce temps par sa force et son adresse prodigieuses ; Améric Vespuce, qui, par un singulier caprice de la fortune, devait laisser son nom à la conquête de Colomb ; bien d’autres encore, se précipitent sur le nouveau continent. L’un des