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tion ou l’amour ; s’il avait épié d’un œil vigilant le premier réveil de ses facultés, s’il avait démêlé nettement sa destinée, s’il avait tendu d’un pas sûr et persévérant vers la paix sereine de l’intelligence, l’énergique ardeur de la volonté ou le bonheur aveugle et crédule, il ne serait pas vain, il ne dédaignerait pas.

Une fois engagé dans la voie préférée, l’emploi légitime de ses forces suffirait à l’occuper. L’œil attaché sur l’horizon lointain, mais sûr d’arriver, il ne détournerait pas la tête pour regarder en arrière ; il se résignerait de bonne grâce à la continuité harmonieuse de ses efforts. Si haut que fût placé le fruit doré de ses espérances, le courage ne lui défaudrait pas avant de le cueillir.

Mais comme il n’a pas mesuré sa volonté à sa puissance, comme il a tout désiré sans rien vouloir, il s’ennuie, il dédaigne, il ne prévoit pas.

Ellenore a déjà aimé. Elle a déjà connu toutes les angoisses et tous les égaremens de la passion. Elle s’est isolée du monde entier pour assurer le bonheur de celui qu’elle a préféré. Elle a renoncé volontairement à tous les avantages de la fortune et de la naissance ; elle a déserté sa famille et son pays ; dans l’ardeur de son dévouement elle aurait voulu pouvoir renouveler autour d’elle ce qu’elle venait de détruire, afin d’agrandir à toute heure le domaine de son abnégation.

Elle croyait, la pauvre femme, que son enthousiasme ne s’éteindrait jamais. Elle espérait que le cœur en qui elle s’était confiée ne méconnaîtrait jamais la grandeur de ses sacrifices. Elle avait joué hardiment sa vie entière sur un coup de dé, elle avait gagné, elle avait conquis l’amour d’un homme, elle avait posé sa tête sur son épaule, et dans ses rêves elle avait surpris le murmure de son nom ; elle était fière et glorieuse, et ne soupçonnait pas que la chance pût tourner contre elle.

L’hostilité assidue, la vigilance envieuse de la société qui la désignait du doigt aux railleries et au dédain, n’avaient pas ébranlé son courage. Elle s’était dit : « J’ai fait un serment, je le tiendrai. La religion de la foi jurée n’est pas moins grande et moins sainte que la religion de la prière. Si ma promesse a été imprévoyante, si j’ai follement engagé mon avenir, c’est à Dieu seul qu’il appartient de me relever de mon serment en m’infligeant l’abandon. Si