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tresse l’esprit d’intelligence. » Le bruit du canon battant en brèche les murs de Grenade n’avait point empêché Isabelle de prêter une oreille favorable à la parole de Colomb. À peine les portes de cette dernière citadelle des Maures ont-elles été ouvertes aux chrétiens, à peine de solennelles actions de grâces ont-elles été rendues au ciel dans la principale mosquée conquise à la foi catholique, qu’Isabelle, élevant Colomb à la dignité de grand amiral, met à sa disposition trois caravelles qui se trouvaient armées dans le port de Palos. On aime à se la représenter du sein des appartemens et des bosquets de cet Alhambra si nouvellement conquis, suivant d’une inquiète pensée le navire de Colomb au milieu des mers inconnues où il vient de s’aventurer.

Des Açores, où il avait à peine touché, Colomb s’était hâté de se précipiter dans la carrière qu’il venait de s’ouvrir. Sous la proue de son vaisseau se déroulait un océan immense, sans limites, tout rempli de l’accablante majesté de l’inconnu, de l’infini. Pendant bien des jours, toujours le ciel et l’eau, toujours des flots qui, se brisant au flanc du navire, ne lui apportent aucune nouvelle de la terre. Les eaux, la lumière, le ciel, se revêtent d’apparences nouvelles pour les plus vieux matelots, et qui leur semblent de mauvais présages ; des tempêtes et des ouragans pareils à ceux qu’ils avaient déjà bravés, leur auraient paru moins terribles. Chose étrange ! de ces marins, ceux qui par hasard ont quelque teinture des sciences physiques, quelques notions de la géographie de l’époque, sont précisément les plus effrayés de tous. Parmi eux, les uns affirment qu’en raison de l’étendue de la terre, trois ans et demi au moins sont nécessaires à l’exécution du voyage commencé ; d’autres, renchérissant sur ces idées, prétendent que le monde est infini, sans limites ; d’autres expriment des terreurs plus bizarres encore : selon eux, la terre ferme n’occuperait qu’une petite portion du globe du monde, le reste serait couvert par l’Océan, et ils croient qu’une fois certaines limites dépassées, il leur deviendra également impossible ou de revenir sur leurs pas ou d’achever le tour du globe ; dans les deux cas, il leur semble qu’il s’agit d’escalader à la voile une gigantesque montagne d’eau, et ils se voient par avance se consumant, périssant inévitablement dans ces efforts sans résultat. C’est là le sujet de toutes les conversations, aux heures où la manœuvre des