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UN VAISSEAU À LA VOILE.

des deux presqu’îles indiennes l’application de ce que plusieurs voyageurs racontaient des nations tartares du centre de l’Asie, il écrivait à Isabelle : « Quelle misère ! ces pauvres gens n’ont cessé de demander au pape des missionnaires, et ils n’en ont point encore. » L’or et l’argent, les richesses provenant des pays découverts ou conquis, il les consacrait, au fond de sa pensée, à solder une nouvelle croisade ; il se voulait mettre en quête d’un monde dans l’espérance de délivrer un tombeau.

Que d’obstacles avant de faire un seul pas, avant seulement de descendre dans cette glorieuse carrière ! La pauvreté presse de ses plus rudes étreintes celui qui devait quadrupler la quantité d’or et d’argent qui alors existait en Europe. C’est en copiant, en coloriant des cartes de géographie, qu’il gagne long-temps son pain au jour le jour, celui qui a placé tout un monde sur nos cartes actuelles. Les savans, quand ils daignent lui répondre, combattent par mille et mille objections, qu’un de ses historiens, Herrera, nous a transmises, les plans qu’il obtient parfois de soumettre à leur jugement. Occupés du siège de Grenade, ce dernier et superbe épisode de la domination européenne des Maures, les ministres, les hommes d’état n’ont pas un moment à donner à des projets d’avance déclarés chimériques. Les guerriers, les marins surtout, peuvent-ils prêter l’oreille à un obscur et pauvre pilote qui, loin de vouloir s’avancer timidement, comme il lui conviendrait, sur les pas de tant de navigateurs qui marchent au levant en côtoyant l’Afrique, commence par émettre la bizarre prétention de suivre une route précisément contraire à celle où tant d’illustres amiraux marchent depuis tant d’années de découvertes en découvertes, d’exploits en exploits ? Au milieu de ce délaissement général, de cette réprobation universelle, il arrive cependant qu’une femme, la reine de Castille, la grande, la noble Isabelle, comprend seule tout le génie de Colomb ; seule elle a pour cela l’esprit assez ouvert, l’intelligence assez vaste. Mille témoins en déposent, dont nous ne citerons qu’un seul : « Observons, dit le père Charleroy, que la couronne d’Aragon n’entra pour rien dans cette entreprise, quoique tout parût se faire également au nom du roi et de la reine. » Écoutons encore ce cri sublime, cet alleluia de Colomb : « Et tous s’étaient montrés incrédules, et le Seigneur daigna donner à la reine ma maî-