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rent l’atteindre. Ce qui nous frappe surtout dans cette théorie du despotisme, c’est ce qu’elle a de profondément vrai. Essayez de la modifier en quelque point, et tout le système s’écroule. Les conseils en apparence les plus exagérés, les plus atroces maximes sont des conséquences rigoureuses du principe dont on veut assurer le triomphe. Nul moyen de les atténuer. La logique inflexible des choses, l’invincible nécessité, mènent jusque là ; et lorsque je vois les princes ou leurs agens mettre partout en pratique ces exécrables iniquités, j’accuse moins encore les hommes que les doctrines qui dominent les hommes. Esclaves de leur propre tyrannie, elle les contraint à abjurer tout sentiment de justice, de pitié, d’amour fraternel, à se dépouiller de la forme humaine pour revêtir celle de je ne sais quel fantôme infernal. Marqués au front d’un signe effroyable, Dieu a voulu que leur seul aspect épouvantât la terre, afin que l’horreur qu’ils inspirent fût dès ici-bas le commencement de leur supplice.

Et considérez un peu le système qu’on vous présente comme le plus parfait modèle d’organisation sociale. Au sommet le prince dont la volonté absolue peut tout ; à côté de lui le bourreau. Tout ce qui vient après, hommes et biens, est son patrimoine. Mais y aura-t-il au moins égalité de servitude, égalité de misère ? Non. Au-dessous du prince, deux races distinctes, éternellement séparées. À l’une, les propriétés, l’instruction, les lumières ; à l’autre, le travail et l’ignorance, la paillasse et la polenta, la privation entière et perpétuelle des plaisirs dangereux de l’esprit, une misère sans fin, un irrévocable abrutissement. Celle-ci, on la compare, et justement, aux bêtes de somme : la nature l’a faite cela, qu’elle reste cela. Mais les bêtes de somme ont la nourriture en abondance, de la paille fraîche pour reposer dessus. La plèbe n’en mérite pas tant. Dans la société que l’on confie à la garde du bourreau, le forçat est plus heureux que l’ouvrier, la prison est plus douce que le foyer domestique. C’est, il est vrai, une anomalie : mais que doit-on faire pour qu’elle disparaisse ? Améliorer le sort de l’ouvrier ? laisser pénétrer quelques jouissances sous le toit de chaume du pauvre ? Que dites-vous donc ? Ce sont là des niaiseries philosophiques. Ce qu’on doit faire ? Consultez l’Expérience ; elle vous dira que pour remettre toutes choses en ordre, pour ramener la félicité monar-