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DE L’ABSOLUTISME ET DE LA LIBERTÉ.

le monopole du sel et le monopole du tabac, combien plus devrait-on établir le monopole de la presse, pour l’avantage de la religion, de la politique et de la bonne morale. Continuez de lire ma lettre.

Le Docteur. — « En outre, qui veut que ses enfans restent tranquilles, doit leur laisser leurs amusemens, qui les retiendront dans leurs chambres et les empêcheront de mettre tout sens dessus dessous dans la maison. Ainsi on doit laisser aux peuples l’occupation et le désennui de leurs affaires domestiques et municipales, de peur qu’oisifs chez eux ils n’en sortent pour troubler les affaires de la nation. En cela, princes, vous avez commis une erreur très grande, et pas un de vos hommes d’état ne s’aperçoit encore que le bouleversement du monde provient de cette faute en majeure partie ; par un zèle mal entendu de la souveraineté, vous avez enlevé à vos sujets tous leurs privilèges, tous leurs droits, toutes leurs franchises, toutes leurs libertés, et concentré dans le gouvernement tous les fils du pouvoir, tout mouvement, tout souffle de vie. Par là vous avez rendu les hommes étrangers dans leur propre pays ; simples habitans de leurs villes, ils n’en sont plus citoyens ; et de l’abolition de l’esprit communal est né l’esprit national, lequel a agrandi dans des proportions gigantesques l’orgueil et les vœux des peuples. Par la destruction des intérêts privés de tous les municipes, vous avez formé de toutes les volontés une seule masse, laquelle doit se mouvoir suivant une seule tendance, et maintenant vous vous trouvez impuissans à arrêter le mouvement de cette masse énorme et terrible. Divide et impera. Vous avez mis en oubli cette maxime gravée sur la base des trônes ; vous avez prétendu diriger le monde avec une seule rêne, et cette rêne s’est rompue dans vos mains. Divide et impera. Divisez les uns des autres, les peuples, les provinces, les villes[1], laissant à chacun ses intérêts, ses statuts, ses privilèges, ses droits et ses franchises. Faites que les citadins se persuadent être quelque chose chez eux ; permettez que le peuple se divertisse aux jeux innocens des manèges, des ambitions et des brigues municipales ; ressuscitez l’esprit local par l’émancipation des communes, et le fantôme de l’esprit national cessera d’être le démon qui enivre toutes les têtes, Chers princes, écoutez-

  1. Dividete popolo da popolo, provincia da provincia, città da città.