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UN VAISSEAU À LA VOILE.

Le cap des Tempêtes échange son nom contre le nom de meilleur augure qu’il a conservé ; des ambassadeurs de Jean Ier partent de Lisbonne pour se rendre, par terre, à la cour de ce mystérieux prêtre Jean dont on veut s’assurer l’amitié ; et déjà, sous les voiles épais qui depuis tant de siècles l’ont cachée aux yeux de l’Europe, se laisse entrevoir l’Inde mystérieuse, avec ses productions colossales, ses antiques traditions, et sa sagesse si renommée. Les adorateurs du soleil ne tournent pas les yeux avec plus d’anxiété vers le lieu où il se lève que ne le fait en ce moment l’Europe tout entière.

Les premiers navigateurs qui abordèrent à l’île de Corvo, la plus occidentale des Açores, avaient pourtant trouvé, suivant la tradition, une statue, qui, tournant le dos à l’orient, étendait les bras vers le soleil couchant. Au milieu de l’agitation générale des esprits, personne ne songeait à pénétrer la signification de ce geste ; le sens des hiéroglyphes qui couvraient la base de la statue demeurait de même voilé pour des yeux et des imaginations préoccupés de toute autre chose, et cependant un homme que le lecteur a déjà nommé, Christophe Colomb, regardait aussi du même côté que cette statue, que cet homme de pierre des Açores.

Occupé, comme tous les hommes importans de ce temps, de la grande œuvre de l’époque, c’est-à-dire de la découverte d’un chemin par mer aux Indes orientales, l’esprit et l’imagination incessamment tendus vers ce but commun, il n’en tournait pas moins le dos, dans ses spéculations pour l’atteindre, à la route où se précipitait la foule de ses contemporains.

Les excursions des pirates ou des pêcheurs de la Norwège, poussés, dit-on, par la tempête, dans le nord de l’Amérique, étaient-elles connues de Colomb ? Avait-il confiance dans ces traditions grecques et romaines qui plaçaient à l’occident du monde une terre immense et inconnue, dont Platon fit son Atlantide ? Avait-il eu connaissance des pièces de bois curieusement travaillées, mais empreintes d’un art étranger à l’Europe, et portées, dit-on, par le vent et les courans, des rivages de l’Amérique à celui des Açores ? Les géographes anciens, à force de reculer vers l’est les Indes orientales, en étaient venus à les placer à l’ouest, presque au lieu où se trouve en réalité le continent de l’Amérique ; cette monstrueuse erreur fut-elle la base du projet de Colomb ? Le geste et le