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le génie, par le dévouement aux idées, par ces élans victorieux qui ne vous laissent pas en arrière dans la marche du genre humain.

Dieu nous regarde au sein de l’infini, qui est à la fois son vêtement et son âme, infini, dont nous avons le sentiment, l’amour et le désir. L’humanité a conçu Dieu d’un seul coup comme unité ; elle l’a successivement adoré dans les différentes représentations de la vie. Par l’émanation elle a peuplé les cieux et la terre des images de la Divinité ; par l’apothéose elle a fait l’homme dieu ; par l’incarnation elle a fait Dieu homme.

Nous concevons Dieu dans le temps. Dieu, immobile dans l’Éternité, nous voit arriver à lui par le mouvement : il assiste à toutes les traductions que nous faisons de lui, à toutes les religions que l’on met à ses pieds. Il est toujours le même ; c’est son essence ; nous changeons toujours, c’est notre vertu. Bossuet a crié : Sortez du temps, aspirez à l’Éternité. Il fallait dire : Marchez dans le temps, vous comprendrez mieux l’Éternité.

Nous avons toujours, depuis l’origine des sociétés, changé, en les agrandissant, nos représentations de Dieu. Le christianisme en est la preuve ; il a été préparé par l’antiquité si savante dans la théologie : mouvement moral, pur et enthousiaste élan de dévouement, de tristesse et de mélancolie, il s’est assimilé les choses humaines, et il a dit qu’il les constituait ; successeur de l’antiquité, il s’est souvent irrité contre elle ; continué par la philosophie moderne, pourquoi donc s’est-il quelquefois fâché contre la philosophie ? Mais malgré ces préoccupations un peu iniques, malgré la décadence pontificale et catholique, malgré l’immobilité de sa lettre, le christianisme est debout au milieu des justes respects du monde.

Cependant l’élaboration humaine se poursuit, et trois principes qui grandissent incessamment demanderont un jour à passer dans la religion de l’humanité : la science, le droit, le bonheur. L’humilité d’esprit sera remplacée dans les devoirs religieux par le désir de connaître, la soumission aveugle aux puissances par l’idée réfléchie du droit, le désir du bonheur terrestre se joindra à l’attente de l’immortalité dans les cieux. L’humanité veut être entretenue dans le sentiment de sa force ; elle a le droit et le devoir de s’élever toujours, puisqu’elle doit arriver à Dieu.