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la fin des siècles, ne cessant de s’écrier : Nord ! nord ! devait enseigner sa route au navigateur, au milieu de l’obscurité des nuits, des vagues en fureur et des vents déchaînés.

La puissance de ce merveilleux instrument n’en devait pas moins demeurer long-temps méconnue ; l’usage n’en commença à devenir quelque peu général, dans les voyages de long cours, que cinquante à soixante ans après la date présumée de sa découverte, à l’époque des grandes entreprises maritimes inspirées par le génie de l’infant de Portugal, don Henri. Le désir de s’illustrer dans la postérité, celui de répandre au loin la foi catholique, préoccupait l’esprit du jeune prince et l’enflammait d’une noble ardeur. Les mathématiques, l’astronomie, la navigation, étaient devenues l’objet de ses études pendant de longues années. Du milieu de son observatoire de Sagres, il conçut la pensée hardie d’exécuter le projet inachevé d’Hannon, et de se frayer un chemin par mer aux Indes orientales. De nombreux navigateurs, inspirés de son esprit, se livrant avec persévérance à l’exécution de ce vaste plan, s’avancent le long de la côte occidentale de l’Afrique, de cap en cap, de rivière en rivière, de station en station : après le cap Bojador, le cap Chevalier ; après le cap Chevalier, le cap Blanc ; après le cap Blanc, le cap Vert, d’où furent envoyés à Lisbonne quelques nègres, les premiers qui parurent en Europe ; ils y furent comblés de caresses et de présens : amère ironie de la destinée, qui datait de ce moment même la ruine et l’esclavage de leur race infortunée. Henri vit encore découvrir deux ou trois caps, les Açores s’étaient déjà montrées depuis long-temps ; mais il ne vit rien de plus de l’exécution de son projet, car les grands hommes n’assistent que bien rarement à la réalisation complète de leur pensée ; une loi fatale le veut ainsi. Heureusement que cette pensée n’en porte pas moins tous ses fruits. Après Henri, le mouvement qu’il avait imprimé à son peuple n’en continua pas avec moins d’activité que si lui-même l’eût encore dirigé. L’extrémité méridionale de l’Afrique fut bientôt reconnue. Le terrible cap des Tempêtes apparut armé de tous ses ouragans, défendu par le redoutable génie évoqué par Camoëns. Gama s’avance pour tenter l’aventure, une grande attente se manifeste, une sorte de religieux silence se fait dans le monde qui se livre pourtant à l’espérance.