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DES LÉGISLATIONS COMPARÉES.

un homme et n’a jamais pu durer chez le peuple que cet homme a fait. La loi s’incarne dans Moïse, et le peuple est constitué par Moïse. Je développerai cet homme plus tard dans un espace plus digne de lui, et personne sans doute ne me reprochera de différer un sujet qui donna long-temps à réfléchir à Michel-Ange. Pour son peuple, Moïse fut et fit tout ; il le tire d’Égypte, il lui apprend Dieu, lui donne une loi, un culte, une justice, un gouvernement : il est général, prophète, médecin, poète, puissant meneur d’hommes ; il est patient, il est impétueux, il est doux, il est cruel, il est réfléchi, il est inspiré ; il est sans pareil au milieu de son peuple, il le bénit avant d’expirer, en chantant Jehovah, et il meurt, l’homme le plus vivant de l’humanité. La nation qu’il avait si péniblement ralliée à l’unité divine fut toujours agitée par des changemens, ne connut jamais le repos, et l’on peut dire que le peuple juif a toujours été le Juif errant. Il n’a pas vécu pour lui dans l’histoire, mais pour nous, pour nous transmettre, au prix de mille souffrances, l’unité de Dieu et la fraternité des hommes. Mon Dieu ! ce peuple a la tête dure, et il lui coûte de se déshabituer de Moloch ; mais il sera durement ramené à Jehovah : il sera châtié ; il aura des rois ; il se déchirera ; il outragera par son schisme Jérusalem, à peine posée la dernière pierre du temple ; il sera envahi, exilé, errant, avili ; cependant Isaïe, Jérémie, Ézechiel et Daniel chanteront ses malheurs, en célébrant le Seigneur ; ils ne trahiront pas l’idée persévérante et fixe de Jehovah ; ils en auront la monomanie divine ; ils assourdiront leur peuple de leurs sublimes prophéties, et ce peuple, amené à Dieu par Moïse, fortifié par Samuel, que David abreuva d’amour et de poésie, que Salomon enseigna par l’architecture, à qui ses prophètes crient Dieu nuit et jour, mettra sur la croix un des siens, né dans Nazareth, pour avoir annoncé le même Dieu que Moïse, mais plus saint encore, plus pur et plus tendre.

Le christianisme est l’idée pure, s’élevant à la passion ; il héritait de l’Égypte et de la Judée les trois principes de l’unité de Dieu, de l’égalité fraternelle des hommes entr’eux, de l’immortalité de l’ame ; il leur donnait un développement nouveau, et de plus il inspirait aux hommes le désir de mourir pour les défendre. Il est curieux d’observer comment de cet idéalisme passionné sortit une théocratie nouvelle.