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DES LÉGISLATIONS COMPARÉES.

société même. Isis, qui enseigna aux Égyptiens l’usage du froment et de l’orge, leur donna aussi leurs premières lois, leur montra la justice et les détourna de la violence par la crainte du châtiment[1]. Cérès est en possession de la même gloire. Nul écrivain n’a plus exactement que Macrobe[2] exprimé l’opinion de l’antiquité en la commentant : Leges Ceres dicitur invenisse ; nam et sacra ipsius themisferia vocantur. Sed hoc ideo fingitur, quia ante inventum frumentum à Cerere, passim homines sine lege vagabantur. Quæ feritas interrupta est invento usu frumentorum. Itaque ex agrorum divisione inventa sunt jura. Macrobe se trompe en pensant qu’avant l’usage du blé les hommes ne connaissaient aucune loi ; la notion du droit a paru avec la première action humaine : mais cette erreur est précieuse puisqu’elle était l’opinion de l’humanité. Et cette phrase : Itaque ex agrorum divisione inventa sunt jura, nous montre la confusion qui se faisait du droit même de propriété avec la propriété foncière considérée comme la source et l’occasion de toutes les transactions civiles.

Le genre humain tomba donc dans cette illusion d’attribuer à l’agriculture l’origine même des lois et des droits dont seulement elle provoqua le plus grand développement : il commit encore la méprise, fort naturelle alors, de faire de la terre l’incarnation par excellence du droit de propriété. Et cette dernière opinion de l’humanité fut si forte qu’elle constitua le droit féodal, après avoir constitué le droit romain.

Quand les premières notions du droit civil et de l’agriculture eurent été trouvées et suivies, l’homme sembla ne vouloir plus rien reconnaître qui vînt troubler le cours ordinaire de ses connaissances et de ses habitudes, et la terre resta soumise à la double immobilité de l’art et du droit.

Le dix-neuvième siècle doit opérer deux révolutions, l’une dans l’agriculture, l’autre dans le droit civil. L’agriculture doit devenir un art systématique, une industrie scientifique qui dispose des ressources et des procédés de la grande culture : la législation civile doit abandonner les principes du droit romain et du droit féo-

  1. Diodori Siculi, Bibli. hist., lib. i, cap. 14, p. 44. Tom. i, édit. Bipontina.
  2. Saturnalior., lib. iii, cap. 12.