Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/258

Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
REVUE DES DEUX MONDES.

les railler et nous soustraire à leur joug ; immolons dans une ironique orgie tous les sentimens et toutes les conceptions de l’homme, et poussons autour de ce bûcher des espérances humaines d’effroyables ricanemens. » Cela peut se faire, mais ne suppose pas une grande énergie. Lâcheté fanfaronne, découragement qui a l’hypocrisie de la force, et qui imprime à tous ceux qu’il atteint une uniformité vulgaire ! Mais si, après avoir reconnu l’âpreté des conjonctures et de la vie, l’homme s’y entête noblement, s’il accepte la lutte, s’il consent à mettre son effort du côté du bien contre le mal, de la lumière contre l’ignorance, de la liberté contre l’oppression ; s’il se dévoue à quelque chose, après y avoir songé ; si, connaissant l’humanité dans ses mérites et dans ses faiblesses, il se décide à la servir, voilà de la force : ce n’est plus l’emportement passager d’un jeune courage qui peut venir se briser contre une première déception ; l’homme agit parce qu’il a voulu ; il a voulu parce qu’il a pensé ; il est inspiré parce qu’il a réfléchi.

L’humanité prépare aujourd’hui ses actions en mûrissant ses idées ; elle s’étudie de plus en plus, et elle goûte la satisfaction et la gloire de s’estimer toujours en se connaissant davantage.

La science est donc le fondement des choses humaines, elle l’a toujours été, mais long-temps à l’insu de la majorité du genre humain ; les hommes étaient conduits par la pensée sans la soupçonner : leur progrès est de la reconnaître aujourd’hui pour maîtresse et pour guide. En vain quelques clameurs se font encore entendre ; laissons à certains adorateurs du passé la consolation impuissante de maudire la science au moment où elle leur enlève le monde en le changeant. Ces plaintes dénotent d’ailleurs une incurable faiblesse, des cerveaux vieillis et épuisés, des imaginations débiles et malades. Qui proteste donc contre le mouvement de l’esprit humain ? Quelques vieillards désespérés, quelques enfans étourdis, cris d’esclaves derrière le char du triomphe.

Contemplez les destinées de l’humanité, ses succès, ses chutes, ses fautes et ses grandeurs, et vous trouverez dans les oscillations de la science les causes de sa bonne et de sa mauvaise fortune. On peut dire que la science, quelles que soient ses applications, est toujours sociale, car ses particularités les plus détournées en apparence du bonheur des peuples y concourent : quand elle s’applique