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depuis le simple et le nu jusqu’à l’épique et au pittoresque. Mais ne convient-il pas de ménager soigneusement la transition d’une nuance à l’autre ? Dans la succession même des nuances n’y a-t-il pas une loi ? Et cette loi, quelle est-elle ? N’est-ce pas la sobriété ? La nuance lyrique en particulier ne doit-elle pas se produire avec une avarice réfléchie ? Et s’il arrive qu’elle se répande avec une abondance luxuriante, n’entache-t-elle pas de mesquinerie et de nudité les nuances voisines et plus simples ? Pour le récit, par exemple, ne serait-il pas utile de s’interdire les images fréquentes et vivement accusées ? Ne faut-il pas réserver les similitudes pour la peinture du paysage, les symboles pour la révélation du monde intérieur, qui, sans le secours de la poésie, ne pourrait jamais s’éclairer que d’un jour incomplet ?

Chacune de ces questions est grave et ne se résout pas à la course. Aussi, en les faisant, nous éprouvons le besoin de les justifier. Parfois il nous a semblé que les pages les plus belles de ce livre gagneraient singulièrement à se simplifier. Il y a dans une œuvre de longue haleine une perspective poétique dont il faut tenir compte. La condensation, utile dans une ode, et qui s’accommode volontiers du mouvement des strophes, ne convient pas toujours à la prose du roman ; souvent le style trop chargé d’images plie sous le faix et ralentit la pensée. La diffusion, en atténuant la crudité des couleurs, ajoute à l’harmonie de la composition, et rend la lecture à la fois plus rapide et plus facile.

Mais s’il est nécessaire au romancier d’apporter dans l’emploi des images d’infinis ménagemens, il doit éviter avec un soin pareil de les briser en les variant, de les obscurcir en les superposant. Or je dois déclarer franchement que Sainte-Beuve a plusieurs fois mérité ce reproche. Il lui arrive de choisir des images dans des ordres de pensées souvent très distans l’un de l’autre, et de mettre une comparaison abstraite à côté d’une comparaison visible ; de cette sorte la première perd son autorité, et la seconde sa grâce.

Et puis il répugne généralement à continuer, à soutenir la similitude qu’il a choisie ; on dirait qu’il craint de la puériliser en la déroulant. Les nombreux exemples qu’il a sous les yeux expliquent sa frayeur, mais ne la justifient pas ; sans doute il est arrivé de nos jours à des artistes éminens d’abuser du style visible, et de parfiler