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UN VAISSEAU À LA VOILE.

saisi d’un tronc d’arbre, le dépouilla de ses branches, et osa le premier se hasarder sur mer. » La crainte du feu aurait ainsi aidé à la hardiesse du premier navigateur. La navigation des Phéniciens, c’est-à-dire leur civilisation tout entière, mœurs, arts, richesse, industrie, institutions, tout cela serait, ainsi, sorti du moment d’effroi éprouvé par Ousoüs au retentissement de la foudre. Vico, le grand philosophe napolitain, assigne la même cause à l’origine de la société chez les hommes, qui, depuis le déluge, auraient vécu dispersés. Dans tous les ordres d’idées et de spéculations, celui qui veut remonter jusqu’à ce commencement obscur des choses, où nul œil d’homme ne saurait pénétrer, ne se trouve-t-il pas toujours obligé d’avoir recours à quelque fait mystérieux et inattendu, tout semblable à ce coup de tonnerre de Vico et de Sanchoniaton ? Ou, pour mieux dire, ne faut-il pas toujours finir par en appeler à la main cachée qui lança ce tonnerre !

De nombreux imitateurs se précipitèrent bientôt sur les traces d’Ousoüs, perfectionnant son œuvre de jour en jour, Au lieu d’un seul tronc d’arbre, ils en mirent plusieurs ensemble, ils les surmontèrent plus tard d’un plancher, et le radeau fut créé ; radeau que le navigateur put alléger ou appesantir à son gré, selon qu’il espaçait ou rapprochait davantage les poutres grossièrement équarries qui étaient comme le fondement de l’édifice. Nous assistons dans Homère à la construction d’un de ces radeaux. « Calypso fait présent à Ulysse de divers instrumens pour construire le vaisseau qui devait le conduire à Ithaque. Elle lui donne une grande hache à deux tranchans : un morceau d’olivier travaillé avec beaucoup d’art servait à la manier avec facilité. Elle fit aussi don à ce héros d’une scie très parfaite, et le conduisit à la forêt située à l’extrémité de son île où croissaient les plus grands arbres. On y voyait des aulnes, des peupliers, des sapins, dont la tête semblait se perdre dans le ciel ; ils étaient d’une grande beauté et très propres à la construction des navires légers. La déesse, les ayant fait voir à Ulysse, le quitta et retourna dans son palais. Ulysse alors, commençant à travailler avec ardeur, coupa promptement les arbres. Il en abattit vingt en tout, dressa leurs faces à la règle et à l’équerre, et les rendit parfaitement lisses… Il les perce tous avec une tarière, les unit par des chevilles et par des liens ; puis, par la largeur qu’il donne à son radeau, en rend le