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cupe le sommet du mont ; au-dessous de lui se trouvent des créatures inférieures à lui dans l’échelle de la création ; au-dessus, des créatures supérieures, des dieux et des demi-dieux. Autour du mont Mérou sont d’autres montagnes habitées aussi par des héros ou demi-dieux, et toutes surchargées de palais où éclatent à l’envi l’or, les perles, les pierres précieuses. De côté et d’autre, des îles, des mers, des continens, sont jetés dans l’espace d’une façon tout arbitraire, toute fantastique, par rapport à leurs positions réciproques, mais qui, toujours habités par de saints brames, par des guerriers tout puissans, n’en réfléchissent pas moins avec la dernière exactitude la civilisation indoue, ou du moins l’idéal de cette civilisation : naïve démonstration que l’expérience et les voyages n’entrent pour rien dans ce bizarre échafaudage du monde ; qu’il n’était et ne pouvait être qu’une sorte de symbolisme encore inexplicable pour nous, et qui peut-être le sera toujours.

Le fond de ces idées ne s’est jamais complètement effacé de l’esprit oriental. Les Chinois, dont la civilisation a subi un développement de plusieurs siècles, sans jamais s’altérer par l’admission d’élémens étrangers, les Chinois, aujourd’hui même, placent encore le céleste empire au centre du monde. Les Persans ne se font pas des idées beaucoup plus justes de la forme de la terre. Tous ces peuples de l’Orient, au bord de leurs mers incessamment sillonnées par les vaisseaux de l’Europe, n’en ont pas moins une sorte d’horreur instinctive de l’eau ; le génie ne les appelle pas sur mer. La Providence réservait cette carrière à la bouillante activité des Européens que n’auraient pu contenir les limites resserrées de leur territoire, et qui, par ces mille chemins toujours ouverts, s’est épanchée sur le monde entier.

Le germe demeuré stérile au bord des mers de l’Orient, devait donc croître et se développer rapidement sur les rivages de la Méditerranée. De ce mot, de cette parole demeurée incomprise du monde oriental, devait sortir tout un poème merveilleux où brilleraient les plus nobles facultés de l’intelligence humaine.

Le plus ancien historien nous a conservé le nom de celui qui le premier, bégayant cette parole, se risqua sur mer : « Des ouragans, dit Sanchoniaton, ayant tout à coup fondu sur des arbres de la forêt de Tyr, ils prirent feu. Or, dans ce trouble, Ousoüs, s’étant