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REVUE DES DEUX MONDES.

L’espagne, souvenirs de 1823 et de 1833 etc.[1]. M. Adolphe de Bourgoing, ayant fait la guerre pacifique et légitime de 1823 et l’année dernière une promenade d’agrément en Espagne, a estimé que, vu la situation où se trouve cette contrée, il ne pouvait convenablement nous priver des souvenirs qu’il a recueillis sur elle en sa double qualité de militaire et de voyageur.

C’est chose toute simple que M. Adolphe de Bourgoing, qui a cueilli sa part des lauriers que moissonnèrent les vainqueurs du Trocadero, s’exalte et se ravisse lui-même à nous conter les moindres de leurs faits d’armes dans la Péninsule. Ainsi, ne croyez pas, je vous prie, qu’il veuille rire et s’amuser quand il compare aux guerriers d’Ossian le prince généralissime et son état-major assistant au passage de la Bidassoa, à demi voilés par les vapeurs humides de la rivière et de l’aube naissante.

« La cavalerie était à cheval, s’écrie M. Adolphe de Bourgoing, — et nul, par parenthèse, ne s’avisera de lui contester l’exactitude de ce détail ; la cavalerie était donc à cheval ; le soleil commençait à paraître et réfléchissait ses premiers rayons rougeâtres dans les plaques de cuivre des bonnets d’ours des vieux soldats ;… c’était noble, c’était grand. »

Vous voyez que l’auteur a su élever son style au niveau des exploits qu’il raconte. Je vous parle de son style, parce qu’en vérité je ne saurais autrement que vous dire à propos de son livre. Il n’y faut en effet chercher ni faits nouveaux, ni révélations piquantes, ni observation, ni pensée. M. Adolphe de Bourgoing n’y a voulu lui-même évidemment rien mettre de tout cela.

Je présume qu’à la lecture de quelques-uns des chefs-d’œuvre des acrobates les plus distingués de notre prose nouvelle, se sentant soudainement épris d’un violent amour pour l’expression chatoyante et le mot bondissant, il n’aura pu résister au désir de danser aussi sur la phrase tendue. De cette émulation seront résultés ces Souvenirs d’Espagne dans lesquels un mépris surhumain de la langue a trouvé moyen de s’allier à une allure lyrique tout-à-fait divertissante.

Nous ne blâmons pas assurément un militaire d’employer ainsi ses loisirs ; mais de pareils essais, plus utiles encore aux délassemens de leur auteur qu’aux jouissances du public, gagneraient peut-être infiniment à rester en portefeuille.

F. BULOZ.
  1. vol. in-8o, chez Dufart, libraire, rue du Bac.