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gine de ce vaisseau. Comme la nature sait tirer le chêne du gland caché en terre, le génie de l’humanité a su le tirer de cet humble germe, immense et magnifique, tel que nous le voyons à cette heure. Mais aussi que d’efforts, que de découvertes, que d’inventions successives se sont enchaînés les uns aux autres pendant la durée des siècles, pour que ce résultat fût produit ! Tous les arts, depuis les plus naturels à l’homme, jusqu’aux plus exquis, jusqu’aux plus raffinés, toutes les sciences, depuis les plus élémentaires jusqu’aux plus sublimes, ont mis tour à tour et tout à la fois la main à la construction de ce navire. Dans l’innombrable multitude de parties diverses dont il est formé, toutes jusqu’au moindre clou, jusqu’à la plus imperceptible cheville, ont été scrupuleusement mesurées, rigoureusement calculées par rapport à l’ensemble. Chacune des phases du développement de cette grande œuvre a été de la sorte comme le résumé complet et le dernier mot d’un siècle, d’une époque du monde. À lui seul ce vaisseau nous raconte, par conséquent, l’histoire entière de l’intelligence humaine. Il est comme une vaste épopée, où se trouvent glorifiés et les travaux de l’humanité sur la terre et ses triomphes successifs dans sa grande lutte avec la nature extérieure, sur laquelle elle est appelée à régner un jour en souveraine absolue.

Expression complète, éclatante manifestation de la toute-puissance terrestre de l’homme, n’est-il pas déjà comme le symbole anticipé de cette glorieuse et définitive victoire ?

Par le commerce, unissant ensemble les nations du globe les plus éloignées les unes des autres, il va semant çà et là les germes féconds de la civilisation. Il est l’agent le plus actif de ces fréquentes et faciles communications au moyen desquelles tous les peuples semblent de jour en jour tendre à se confondre en un seul peuple. Il est le théâtre et l’instrument des combats les plus terribles que l’homme puisse livrer à l’homme. Heurte-t-il de sa proue quelque rivage inculte et désert jusque-là, de ce choc ne tarderont pas à naître de nombreuses cités destinées à devenir riches et florissantes. Loin de tout rivage, vogue-t-il comme perdu au sein de l’immensité, on le voit, par les savantes évocations de ses pilotes, arracher, pour ainsi dire, de la voûte du ciel les astres étincelans, et les contraindre à devenir ses guides au milieu des déserts de l’Océan.