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Toute la partie antérieure du torse de la bacchante est traitée avec une souplesse, une élégance, une précision très remarquables. Enfoui à quelques lieues de Marseille ou de Nîmes, ce morceau serait de force à mystifier plus d’un antiquaire. Le bras gauche du satyre est modelé avec une richesse et une vérité très rares. La draperie est systématique et sèche. Si, après avoir admiré la vérité locale de certaines parties de ce groupe, on vient à rechercher la vérité vivante et générale, on est loin d’être aussi satisfait. Ainsi, par exemple, la contraction musculaire du bras gauche du satyre, très bien rendue, est assurément exagérée. La résistance de la bacchante n’est pas assez vive, assez opiniâtre pour motiver un effort aussi énergique. J’en dirai autant des impressions digitées inscrites si habilement sur le torse et principalement sur les côtes du satyre. Il y a là un grand talent d’exécution ; mais ces impressions supposeraient des contractions musculaires que l’attitude du satyre n’explique pas suffisamment.

Ce qu’il faut louer dans le groupe de M. Pradier, c’est une merveilleuse interprétation de l’antiquité. Évidemment, l’auteur ne voit dans les chefs-d’œuvre de nos musées qu’un type d’élégance et de beauté qu’il s’applique à rajeunir par l’étude de la nature plutôt qu’à reproduire littéralement. Je ne crois pas que cette route soit la plus vraie et la plus heureuse. Je ne crois pas que les plus beaux ouvrages doivent exciter dans l’âme de l’artiste autre chose que l’émulation et l’enthousiasme. Je ne crois pas qu’il faille, dans l’invention d’un groupe, se préoccuper jamais des lignes et des plans qu’on a vus ailleurs. Il faut apprendre des anciens ce qu’ils possédaient éminemment, la grâce et l’harmonie, mais sans perdre de vue le but qu’ils ont si glorieusement touché, pour chercher à l’atteindre en suivant une voie personnelle et originale.

Ce qui manque aux ouvrages de M. Pradier, et en particulier à son groupe de cette année, c’est l’invention. Il traite admirablement un torse, un membre ; il rivalise avec les antiques les plus achevés dans certaines parties de ses ouvrages. Mais son travail manque de suite et de logique. À côté d’un morceau traité dans le système sobre des anciens, à côté d’une épaule savamment interprétée d’après le souvenir de l’art grec, on trouve un bras bon en lui-même qu’il a pris plaisir à copier dans tous ses détails, d’après