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d’indignation généreuse et de dévouement, l’énergie de sentir, voilà surtout ce qu’elles avaient de commun, et ce par quoi l’auteur d’Édouard était sœur au fond, sœur germaine de l’auteur de Delphine.

Si j’osais hasarder le contraste, je nommerais encore pour terme de ressemblance un autre nom, un nom girondin aussi, mais tout plébéien, celui de Mme Roland. Dans ces soins de ménage et de simplicité domestique, alternant avec les emplois d’une pensée élevée, comment ne pas entrevoir un commencement de similitude ? Sous les différences d’éducation et de fortune, on découvrirait peut-être chez toutes deux d’autres rapports. L’esprit de Mme de Duras était plus délicat assurément, et moins mâle, moins étendu peut-être, que celui de la compagne d’échafaud de Kersaint : mais là non plus, pour l’âme et le cœur, elle ne le cédait en rien.

Mme de Duras fut ramenée en 1815 et comme fixée davantage à Paris par le mariage de sa fille aînée, mariage qui l’occupait beaucoup ; car elle portait l’entraînement jusque dans les maternelles tendresses. La Restauration lui causa une grande joie, mais elle la concevait à sa manière, et elle dut en souffrir bientôt et violemment, comme d’un objet qui échappe et qu’on aime. Sa société pourtant, grâce à ce séjour plus habituel à Paris, s’augmenta et s’embellit de plus en plus. C’étaient, sans parler de tous les personnages purement aristocratiques et diplomatiques, sans parler de M. de Chateaubriand qui s’y montrait peu les soirs, c’étaient MM. de Humboldt, Cuvier, Abel Rémusat ; Molé, de Montmorency, de Villèle, de Barante ; c’était M. Villemain vers qui elle se sentait portée, tant à cause de son prodigieux esprit de conversation qu’en faveur de ses opinions politiques modérées, aux confins du seul libéralisme qu’elle pût admettre. M. de Talleyrand retrouvait là, avec plus de jeunesse, une image des cercles de la maréchale de Luxembourg et de la maréchale de Beauveau ; mais il se plaignait galamment de ce trop de jeunesse, et qu’il lui fallût attendre quinze ans au moins encore, disait-il, pour que cela ressemblât tout-à-fait. Cependant au milieu de cet éclat extérieur du monde, la santé de Mme de Duras était depuis plusieurs années altérée, sans qu’elle changeât sa vie ; mais vers 1820 elle dut cesser à peu près de sortir. Son ame avait gardé une fraîcheur de sensibilité,