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BELLA UNION.

rendu leurs excursions plus promptes et plus fréquentes, les Charruas avaient conservé leurs mœurs primitives qui sont absolument les mêmes que celles des Indiens des pampas. Montés à cru sur des chevaux à peine domptés, qu’ils gouvernaient au moyen d’une simple lanière de cuir en guise de bride, ils erraient de côté et d’autre, plantant seulement çà et là, pour quelques jours, leurs tentes de peaux, faisant la chasse aux autruches, et pillant les troupeaux des frontières, ou dévalisant les rares voyageurs qui leur tombaient entre les mains. En un mot, c’étaient de très incommodes voisins, et, dans l’impuissance de les civiliser, on excuserait presque ceux qui les ont détruits, si l’on ne songeait qu’après tout, ces infortunés étaient dans leur patrie, sur le sol dont leurs pères étaient jadis les maîtres, et que leurs vainqueurs ne sont guère plus civilisés qu’ils ne l’étaient eux-mêmes.

Les Charruas, qui se montaient à sept ou huit cents individus, étaient plus nombreux que les Guaranis échappés aux désastres de Bella-Union. Les uns et les autres combattirent vaillamment, et refusèrent plusieurs fois la vie qu’on leur offrait en échange de leur liberté. À peine avaient-ils quelques armes à feu et quelques sabres, pris pour la plupart sur l’ennemi ; et que pouvaient contre celui-ci, bien pourvu des premières, des hommes armés de lances ? Après un grand nombre d’escarmouches, de surprises, de marches et contre-marches, ce qu’on peut appeler une bataille décisive eut lieu. Barnabé Riveira, arrivant un jour avec son armée au sommet d’une petite colline, se trouva tout à coup en face de l’ennemi rangé en ordre de bataille à un quart de lieue de là dans une vaste plaine. Un témoin oculaire m’a raconté que c’était un spectacle singulier et imposant à la fois que celui de ces hommes au teint bronzé, nus pour la plupart à l’exception d’un léger poncho flottant sur leurs épaules, et montés sur des chevaux, indomptés comme eux, qu’ils maniaient avec une dextérité merveilleuse. Après quelques instans d’attente mutuelle, les Indiens poussèrent leur cri de guerre accoutumé mêlé aux cris de muera Barnabé ! et des deux côtés on se chargea avec fureur. Dès le premier choc, trois lances indiennes percèrent à la fois Barnabé Riveira de part en part. Il fut enlevé du coup à douze pieds au-dessus de son cheval et lancé sans vie à vingt pas plus loin. Malgré cet exploit, les Indiens n’en furent pas moins taillés en pièces ; et quelques mois plus tard, Fructuoso Riveira, qui, outre ses anciens griefs, avait à venger la mort de son frère, acheva l’œuvre de destruction.

On fit cependant quelques prisonniers dans le cours de cette guerre sauvage. Amenés à Montevideo, où le gouvernement ne savait trop qu’en faire, quatre d’entre eux furent remis à un Français, qui, à son arrivée