Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/676

Cette page a été validée par deux contributeurs.
670
REVUE DES DEUX MONDES.

qui n’avaient rien ; entre les privilégiés et les prolétaires. Que Pitt ait sincèrement désiré l’émancipation des catholiques, qu’il ait été de bonne foi en promettant aux chefs de ce parti les priviléges qu’ils désiraient si ardemment : c’est ce dont ses ennemis même conviennent. Sa promesse, il espérait pouvoir la tenir ; mais son alliée, la vieille aristocratie anglaise, à l’aide de laquelle il avait étouffé le jacobinisme, lui força la main. L’habile ministre avait évoqué un pouvoir terrible, qui le dominait, et dont il ne pouvait plus se défaire. Les préjugés protestans de George iii autorisèrent et encouragèrent le parlement anglais à repousser l’émancipation catholique, et ce grand acte de justice nationale, il fut réservé à une autre génération de l’accomplir.


Il y a trente ans, dans une de ces assemblées destinées à enflammer les passions irlandaises et à combattre la mesure de l’Union, un jeune avocat prit la parole : c’était O’Connell. Son début fut brillant. Toujours, depuis cette époque, on l’a vu se porter champion du parti catholique, champion infatigable et toujours prêt, orateur qui ne laissait pas échapper une seule occasion de réclamer contre les griefs réels ou prétendus de ce parti. Les mêmes talens qui l’avaient distingué au barreau, qui l’avaient entouré de nombreux cliens, qui avaient fait de lui l’avocat à la mode, assurèrent son succès comme orateur populaire. Ce n’était pas un légiste profondément instruit ; mérite peu apprécié en Irlande et très important en Angleterre. Mais quel homme jamais sut plus habilement s’emparer de la sympathie d’un jury, commander à ses émotions, le conduire à son gré, employer, pour le dominer, l’esprit, la saillie, le caprice, la vivacité irlandaise, ou cette déclamation impétueuse, diffuse, passionnée et pittoresque, qui produit tant d’effet sur ses compatriotes ?

O’Connell est taillé pour réussir dans toutes les carrières où l’énergie, le sang-froid, l’audace imperturbable et la franchise du caractère peuvent assurer le succès. Regardez-le : voyez ces larges épaules, cette carrure d’athlète, cet œil brillant, audacieux, spirituel, sensuel, ardent, presque féroce ; voyez-le marcher tout à son aise, d’un pas négligent, se dandinant sur les hanches, le parapluie jeté comme une arme, sur l’épaule ; voyez-le aborder ses