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LE PAYS DE TRÉGUIER.

tude, de cuisine et de chambre à coucher. Quelquefois aussi le cloarec trouve un cabaretier ou un loueur de chevaux qui veut bien lui fournir une paillasse et une couverture dans le coin d’un grenier. Il s’engage alors à payer cette faveur par des travaux domestiques. Il va prendre l’eau à la fontaine, couper l’herbe au pré, soigner les chevaux et l’écurie. Quelques étudians favorisés se placent chez un notaire dont ils font les copies, moyennant une légère gratification mensuelle. D’autres donnent des leçons de lecture et d’écriture à raison de dix sous par mois ; mais le nombre de ces élus est nécessairement fort borné. Quelle que soit d’ailleurs l’industrie qu’exerce le cloarec, elle suffit tout au plus à son entretien ; les frais d’instruction et de nourriture restent toujours à la charge de sa famille. Chaque jour de marché, le père ou la mère se rend à la ville et apporte à l’écolier un pain noir, du beurre, du lard, quelques galettes et des pommes de terre : ces provisions doivent durer jusqu’au marché suivant où elles sont renouvelées.

Nous devons dire qu’il est des étudians plus heureux, et qui, appartenant à de riches parens, mènent une vie plus douce ; mais ceux-là ne sont point les clercs bretons que nous cherchons à faire connaître. Ceux-là sont des écoliers semblables aux écoliers de tout pays, poussant pleine sève dans la vie, au milieu d’une atmosphère d’aisance et de joie. Ce que nous voulons peindre ici, c’est le cloarec de la foule, sacré prêtre d’avance par l’humiliation, la misère, les rudes études, et commençant à marcher à travers le monde, comme le Christ vers le Calvaire, avec sa couronne d’épines au front et la croix sur les deux épaules.

En hiver, je l’ai déjà dit, le dortoir que le cloarec habite avec ses compagnons lui sert de cabinet d’étude ; mais dès que les premiers bourgeons sont venus aux haies, et que le pinson chante dans les aubépines, il abandonne sa mansarde pour les champs. Il vient s’asseoir entre deux sillons, dont l’un lui sert de table pour étudier ses leçons et écrire ses devoirs. Heureux, il a retrouvé là l’air de sa campagne natale et un souvenir de ses douces fainéantises d’enfant, alors que, vêtu de haillons et les pieds nus, il gardait, dans les landes, les vaches de son père, en tressant de beaux chapeaux pointus avec les joncs des marais. Qui peut dire l’enchantement que doit éprouver le pauvre écolier