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core, un couteau d’une main, elle vint poser l’autre sur le sein du cadavre… Elle crut y sentir l’enfant qui s’agitait !… Ce mouvement la frappa comme une commotion électrique. Une sorte d’égarement furieux, né de la crainte, s’empare d’elle ; elle prend le couteau à deux mains, l’appuie sur le ventre de la morte, l’enfonce, et, plongeant le bras à travers les entrailles, elle retire l’enfant tout sanglant, prononce les paroles du baptême et tombe sur la terre sans mouvement.

Le lendemain, elle était en proie au délire, et elle croyait voir au milieu des convulsions de l’agonie la jeune mère se relever, le ventre ouvert, retenant ses entrailles avec sa main, et redemandant son enfant ! — Elle mourut le troisième jour.

Hâtons-nous de le dire, ces faits sont rares, et il ne faudrait pas juger d’après celui que nous venons de citer le caractère du Trégorrois. Une poétique douceur de cloître y domine, et c’est à peine si quelque chose de la fruste empreinte des vieux Celtes y est resté. Non que le ressort manque à ces hommes. Peut-être y a-t-il au contraire en eux une élasticité particulière qui les rend plus impressionnables que tenaces. Leurs âmes faciles et désarticulées se plient à toutes les situations sans trop de souffrance ; c’est un ressort de montre susceptible de s’étendre, mais auquel suffisent trois lignes d’espace. Véritable Allemand de la Basse-Bretagne, le Trégorrois est aisément content ; tant qu’il a place nette entre son cœur et son cerveau, et qu’il peut renvoyer librement la pensée de l’un à l’autre, il trouve l’existence bonne. Cette sociabilité tient beaucoup à ce que les aspérités primitives de son caractère armoricain ont été long-temps laminées entre un clergé poli et une noblesse parlementaire. Quoi qu’il en soit, elle a porté son fruit et a préparé le pays à suivre le mouvement général de la France. Aussi, y sent-on partout une sorte de prédisposition à la fusion du vieux siècle avec le nouveau. C’est une contrée que l’épidémie de la civilisation va prendre au premier jour. Les symptômes s’en annoncent par avance. Sans que l’on puisse dire précisément que les croyances y sont ébranlées, quelques esprits s’y laissent déjà aller à une liberté de camaraderie envers les choses saintes. Ils n’en sont point arrivés à l’examen ni à la raillerie ; mais ils osent déjà faire les plaisans avec la religion. Le bon Dieu est bien toujours leur