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voir la grande roche bleue (roch irglas), près de laquelle débarquèrent saint Efflam et ses compagnons, à cette époque miraculeuse où les auges de pierre servaient de vaisseaux aux solitaires de l’Hybernie pour traverser les eaux et venir prêcher le catholicisme aux idolâtres de l’Armorique. Le jeune séminariste me raconta comment saint Efflam, qui avait épousé une princesse plus belle que le jour, la quitta pour venir prêcher la foi en Bretagne et débarqua dans cet endroit, où il trouva son cousin Arthur prêt à attaquer un horrible dragon qui suait du feu, et dont les regards frappaient les hommes ainsi qu’une lance. « Le chevalier et le dragon combattirent tout un jour sans pouvoir se vaincre. Vers la nuit, Arthur vint s’asseoir au bord de la forêt, car il était lassé et avait bien soif. Mais aucune eau ne bruissait à l’entour, sinon la grande mer qui grondait tout affolée contre le hir-glas ! Saint Efflam se mit alors en prières, et ayant frappé la terre de son bâton, il en jaillit aussitôt une source à laquelle Arthur but à longs traits. Le saint passa le reste de la nuit en oraisons ; et quand le jour fut venu, comme le chevalier reprenait sa bonne épée : — Chômez pour aujourd’hui, beau cousin, dit Efflam, et laissez dague au fourreau, car la parole de Dieu est plus forte que fer émoulu. — Cela dit, il s’avança vers le dragon auquel il ordonna, au nom du Christ vivant, de sortir de sa tanière et de se précipiter dans la mer ; ce que fit le monstre avec de sourds et terribles meuglemens qui faisaient tressaillir Arthur sous sa cotte de fer. » En mémoire duquel miracle, ajouta mon guide, se voit encore aujourd’hui la fontaine que le saint fit sortir de la terre, et la chapelle de Toul-Efflam que vous avez aperçue à l’entrée de la grève sur cette colline boisée.

J’avais contemplé le jeune cloarec pendant ce récit ; il était resté grave, pieux et sans embarras ; on voyait qu’il ne craignait pas plus le doute dans l’esprit de son auditeur qu’il ne pouvait l’éprouver lui-même. Ce qu’il me racontait là était sûr, disait-il, car il l’avait lu dans un livre imprimé et composé par un prêtre[1].

Cependant la mer, qui montait toujours, faisait voir de plus près sa longue dentelle d’écume neigeuse ; je commençais à craindre qu’elle ne nous entourât. J’avais entendu raconter, dans mon en-

  1. La Vie des Saints de Bretagne, par Albert de Morlaix.