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il se rejeta dans le souvenir et le culte de César ; il s’attacha de plus en plus à l’histoire, divinité dont il embrassait l’autel dans le naufrage de ses amitiés et de ses espérances. Il résolut d’écrire l’intervalle du temps écoulé entre le Jugurtha et le Catilina. De cette façon il se faisait l’historien de tout le viie siècle de Rome. Il reprenait les choses depuis le commencement des inimitiés entre Marius et Sylla, à leur retour d’Afrique ; il avait à raconter les luttes terribles de ces deux hommes, les Gaulois, Mithridate, l’Asie, les fortunes diverses du parti aristocratique et démocratique, la mort de Marius, l’abdication de Sylla, la jeunesse de Pompée, l’époque de ses prospérités, jusqu’à ce qu’il rencontra Catilina dont il avait écrit l’histoire. Voilà qui était grand et digne de toute la maturité de son génie. Comme il devait comprendre les choses et les hommes ! comme il devait les peindre ! Cette fois l’écrivain se permettait une plus large carrière ; il distribuait en cinq livres[1] la riche matière qu’il façonnait ; il donnait plus d’espace à sa force, et sans en détendre les ressorts, il lui trouvait plus d’éclat dans plus de liberté. Nous avons été déshérités de ce chef-d’œuvre ; le temps ne nous en a laissé que quelques fragmens épars dans les anciens grammairiens latins et les vieux glossateurs, tels que Donat, Servius, Priscien, Sosipater, Nonius, Pompeius Messalinus, Marius Victorinus, et d’autres encore. Ces philologues citaient curieusement des phrases et des expressions qui leur semblaient remarquables. De leur côté de célèbres écrivains, Sénèque, Quintilien, Aulu-Gelle, Isidore de Séville et surtout saint Augustin dans la Cité de Dieu, ont transcrit des passages dont la signification morale les avait frappés. Enfin Pomponius Laetus découvrit, dans un manuscrit du Vatican où étaient copiées plusieurs harangues de divers historiens latins, quatre discours et deux lettres qui appartenaient à l’ouvrage perdu de Salluste. L’industrie des modernes s’est exercée sur ces précieuses reliques : mais De Brosses a surpassé ses devanciers, Riccoboni, Paul Manuce et Louis Carrion ; il a d’abord recueilli tous les fragmens, puis il les a coordonnés ; enfin il en a tiré une histoire, faisant

  1. De Brosses nous paraîtconjecturer avec raison que l’histoire perdue n’avait que cinq livres.