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m’avait voulu tuer, n’avait pourtant pu tuer mon amour ! Oui, lâche et aveugle que j’étais, je l’aimais encore ; je me persuadais qu’elle m’avait noblement aimé elle-même ; je cherchais à son crime des excuses et les fondais sur les vraisemblances de ma faute ! Je prétendais me prouver qu’elle avait bien dû se croire mortellement offensée, et qu’elle avait eu de légitimes raisons de se venger.

Pourquoi les salutaires réflexions que je fis seulement plus tard, ne vinrent-elles pas dès-lors à mon secours ? Elles eussent hâté de beaucoup la double guérison de mon corps et de mon ame.

Au moins tout ce qui, dans les détails de cette singulière et tragique aventure, avait été si long-temps entouré pour moi de mystères merveilleux, tout ce que j’avais été tenté parfois d’en attribuer aux prestiges des sorcelleries, tout cela m’avait été bien clairement expliqué par ce dénouement.

Ainsi, la comtesse et moi nous habitions la même maison, bien que nos appartemens eussent chacun des issues différentes. Cette ouverture du parquet de son cabinet qui donnait dans ma chambre et sur mon lit même, le hasard l’avait commencée peut-être, la curiosité l’avait disposée ensuite et masquée. C’était par là que mes actions avaient été épiées et mes discours écoutés ; c’était par là que m’étaient venus ces billets tombés du ciel. Cette chaise à porteurs aussi, par laquelle je m’imaginais être conduit bien loin, me prenait presque à ma porte et me ramenait à ma porte, m’ayant seulement fait voyager une heure par la ville ! Quoi de plus simple et de moins surnaturel que tous ces incidens ; mais qui se fût douté jamais de leur simplicité ?

Enfin, à force de les examiner et d’y réfléchir, je sus me refaire quelque calme et quelque raison. Toutes les circonstances de cette aventure n’étaient pas de nature, en effet, à entretenir long-temps les illusions de mon amour. Comment celui dont j’avais supposé cette femme éprise était-il entré en son cœur ? Par ses contemplations indiscrètes et prolongées, fruit de son oisiveté et de l’étroite retraite où la laissait son mari, elle s’était enflammée de désirs grossiers ; et, afin de les satisfaire sans danger pour elle-même, elle s’était avisée de tous les stratagèmes capables de lui assurer l’impunité de son déshonneur ! Était-ce donc là de l’amour ?

Et m’eût-elle aimé enfin, et se croyant trahie, en son furieux ressentiment, eût-elle été saisie de la soif d’une prompte et mortelle vengeance, sans plus attendre ni délibérer, que ne me faisait-elle alors assaillir et percer de dagues au détour de quelque rue ? car c’est ainsi qu’en d’honorables et subites colères une ame passionnée est excusable peut-être de se venger. Mais non, elle avait préféré me voir égorgé sous ses yeux et en son lit, afin de se défaire de moi plus sûrement, afin de m’enterrer en-