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LA BELLA MALCASADA.

à ce qu’il semble, maladroitement montré trop de curiosité sur ce point ; car ne s’en tenant que mieux en garde, elle changea soudain de parade, et prétendit me persuader qu’elle avait voulu seulement plaisanter. Elle ne m’avait jamais vu, me jura-t-elle ; elle ne savait rien de moi que par magie blanche. Et puis, me souhaitant d’heureuses nuits, — felices noches, — et m’ayant formellement défendu de la suivre, tout en me permettant de l’attendre, si bon me semblait, le lendemain à la même promenade, elle ordonna à son cocher de la ramener chez elle.

Je ne tardai pas, de mon côté, à retourner à mon logement. C’était l’entresol d’une maison située près de San Pablo, que j’habitais avec mon frère. Cet entresol se divisait en plusieurs chambres ayant chacune ses croisées donnant sur la rue. Dès que je fus rentré, je me hâtai de commencer une enquête parmi mes gens. Chacun fut examiné, interrogé et retourné en cent façons. Je pressai mon frère lui-même de questions. Ce me fut là peine inutile. Toutes mes recherches furent sans résultat. Non seulement je ne pus découvrir mon espion, ni obtenir le moindre aveu d’indiscrétion de la part de qui que ce fût, mais je ne saisis même nul indice qui m’offrît un fil conducteur en ce labyrinthe de mes soupçons, et me menât à une seule conjecture raisonnable.

Malgré ce mauvais succès, je vous laisse à penser si le lendemain je fus exact à mon rendez-vous du Prado. J’y étais en sentinelle déjà bien avant la brune et j’y restai fort tard. Ce fut en vain : la dame voilée ne reparut point. Je voulus me persuader que c’était le tort de mes yeux qui n’avaient point su reconnaître sa voiture dans le grand nombre de celles dont la promenade était obstruée. Mais n’ayant pas eu meilleure chance les soirées suivantes, après y avoir mûrement réfléchi, en dépit de la longue défense que fit mon amour-propre, je finis par le réduire à confesser qu’il avait été pris pour dupe.

ii.

Un mois s’était écoulé. Je commençais à n’avoir plus de mon inconnue que ce vague souvenir qui vous reste d’un rêve ; mais je n’avais pas au moins mis en oubli ses conseils. La leçon avait été trop vive et acérée pour ne point m’être profitable. En vérité, une métamorphose entière s’était faite en moi. Non, je n’étais plus le même ; je n’étais plus cet enfant efféminé, ce Narcisse follement amoureux de son image, qu’elle avait sur tant de justes fondemens réprimandé. J’étais redevenu homme enfin. Et je n’avais pas réformé seulement le luxe ridicule de mes parures ; j’a-