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LE SOUPER CHEZ LE COMMANDEUR.

chevelures d’or, blanches ailes que l’amour inonde, calices embrasés dont l’amour est le seul parfum ! oh ! les anges, les anges !

Don Juan.

Oui, leur front est calme, Anna, mais une flamme intérieure les consume ; ils souffrent comme nous du mal qui ronge la création, car la création est une fleur, et le néant, le ver qui l’habite. Partout le néant, partout la soif d’une eau que l’on croit tarie et qui n’a jamais coulé ! Damnation ! tandis que je poursuis toute ma vie un être insaisissable et que je blasphème ne le trouvant pas sur la terre, l’ange du ciel prie et chante pour attirer à lui quelque beauté surnaturelle, et le créateur, du fond de sa solitude, nous voyant tous souffrir, rêve une œuvre parfaite, et pleure à l’idée qu’il est impuissant à la réaliser. L’homme, l’ange et le créateur se courent après dans le chaos et s’appellent tous trois sans que l’on puisse dire quel est le plus malheureux de celui qui blasphème, de celui qui prie ou de celui qui pleure.

Anna.

Don Juan, c’est la chair qui soulève ces tempêtes et remue en ton ame ces amours insatiables qui veulent toutes se répandre à la fois et se heurtent comme les vagues d’une eau qui bout ! Mais les anges ! eux sont de purs esprits, de célestes fontaines, et leur amour s’épanche pur, limpide et sans tumulte, car il a conscience de son éternité.

Don Juan.

Oui, mais dans ces réservoirs célestes viennent se mirer des étoiles et des splendeurs, Marie et Jésus, que sais-je moi ? et les anges, aussitôt épris de ces reflets qu’ils ne peuvent saisir, meurent dans leur éternité !

Anna.

Le tourment dont tu parles est inconnu là haut. Mon Dieu, si tu pouvais t’élever jusqu’au ciel sur les ailes de la prière, si tu pouvais épier les anges un instant, un seul instant, oh ! comme tu dirais en face de leur béatitude : J’étais un insensé de confondre ainsi l’amour et l’adoration ! Tu trouves le bonheur des anges imparfait, et tu ne sais pas seulement ce que c’est qu’un ange ! Don Juan, deux êtres qui se sont bien aimés sur la terre font un ange dans le ciel !