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LE SOUPER CHEZ LE COMMANDEUR.

Imite ce pécheur qui dans sa pénitence
Rugissait nuit et jour comme fait un lion.

Par grace, charge-toi de l’expiation ;
Rends Anna, notre fille, à l’heureuse existence,
Et les anges du ciel viendront avec constance
Recueillir tous les pleurs de la rédemption.

Et lorsque le matin répandra ses rosées,
Des larmes que tes yeux la nuit auront versées,
Ils iront inonder les esprits malheureux ;

Et comme le soleil prend les eaux des fontaines
Pour arroser la fleur qui sèche dans les plaines,
Les archanges prendront tous les pleurs de tes yeux !

Don Juan.

Vous me demandez des larmes, est-ce que j’en ai, des larmes ? vous ne savez donc pas que la vie a desséché mes paupières et les a faites plus arides que les vôtres ? Y pensez-vous, mes statues ? pleurer Anna, moi ! Ah ! sans doute que je la pleurerais, si j’avais pu n’aimer qu’elle dans toute ma vie ; si j’avais accompli sa damnation dans un moment d’ivresse et de délire, sans doute que je la pleurerais, et bien amèrement encore ! Je n’ai pas voulu l’aimer, mais la perdre avec moi, car je porte un amour que la terre ne peut assouvir ; et toutes les femmes que je rencontre, je les entoure de mon souffle, je les marque de mes baisers, afin de les retrouver dans l’éternité. Certes, jusqu’ici je n’ai pas eu tort, puisque vous parlez de purgatoire ; c’est là qu’elles m’attendent, et vous croyez que j’irai leur en ouvrir la porte pour qu’elles s’envolent à Dieu. Vous croyez que j’irai reclouer au ciel toutes ces étoiles tombées, lorsque je puis m’en faire une couronne. Insensés ! insensés ! À chacun son royaume ; que Dieu garde son paradis et ses archanges, Satan son enfer et ses diables, à moi, don Juan, à moi les femmes et le purgatoire ! n’est-ce pas Anna ?

Le Commandeur.

Don Juan, prie et pleure pour elle !

Don Juan.

Non !