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à travers, frais, dispos et serein. S’il meurt, ce voile devient auréole, et, je vous le demande, mes aïeux, quand ma fille est entrée ici, pouvais-je donc chercher un fil d’or sous cette grande chape de lumière dont mon amour la revêtait ? Mais vous, cardinal Rafaël, vous qui n’êtes pas son père, c’est bien mal de ne m’avoir pas averti tout de suite. Damnée ! ô malheureuse ! Dire qu’à présent il faut que je me signe comme si je venais d’embrasser le démon et non ma propre fille. Damnée ! et sa mère qui l’attend dans le ciel ! Bienheureuse, reste plongée en ton extase, et si jamais il entre au paradis une vierge que nulle sainte ne réclame, hâte-toi de la faire asseoir à tes côtés, celle-là sera vraiment ta fille. L’autre est morte aujourd’hui, morte pour les hommes, car son corps est dans la tombe, morte pour les anges, car son ame est en enfer, morte, morte et damnée !

Ô mon Dieu ! il faut que cette fille ait péché mortellement, car ses pleurs tombent lourds comme du plomb et creusent mon armure de pierre. C’est un fruit maudit que l’ame qui donne des pleurs si noirs et si brûlans lorsque la main de Dieu l’exprime, un fruit maudit et qu’il faut rejeter loin de soi. Anna, ma fille, c’était donc pour me tromper que tu priais des nuits entières, pour me tromper que tu pleurais au récit de la Passion, pour me tromper que tu communiais auprès de moi le jour de Pâques et de Noël ! Malheureuse ! je t’avais bien dit cependant que toute créature a son ange qui l’accompagne et lit dans son ame par intuition. Les hommes jugent les actes et les paroles ; lui, sonde la pensée en sa profondeur, laboure la conscience, et voit dans le germe secret quelle est la nature spirituelle de ces belles larmes de cristal qui roulent sur le marbre des églises. À quoi cela vous a-t-il servi de me tromper par des prières où votre ame n’avait point de part, par des larmes qui coulaient comme l’eau des fontaines, par les regards pudiques de vos yeux et les gestes de votre corps ? Malheureuse ! vous avez sanctifié pour quelques jours la partie périssable de vous-même, et perdu l’autre pour toute l’éternité. Ô mon Dieu ! le coup dont tu viens de la frapper retentit en moi, je sens comme elle toute la pesanteur de ton bras auguste. Mais n’importe, je te glorifie et bénis ton arrêt, car c’est péché mortel pour une fille que de tromper son père avec des larmes. Et