Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/529

Cette page a été validée par deux contributeurs.
523
LE SOUPER CHEZ LE COMMANDEUR.

N’eurent autant de charme aux jours de leur splendeur.
C’est Anna, n’est-ce pas, fille du commandeur ?
Mes frères, chaque fois que je viens à la vie,
Je bénis mes aïeux et je les glorifie.
Car de même qu’on voit un pieux jardinier
Entourer de ses soins un arbuste fruitier,
Un arbre qu’avant tout il cultive, et qu’il aime,
Parce qu’en son enclos il l’a planté lui-même
Le matin que l’on a baptisé son enfant,
Ainsi nos bons aïeux que le Seigneur défend
Ont entouré de soins l’arbre de notre race,
Et tellement sur lui fait descendre la grace,
Que depuis trois cents ans qu’il s’élève au soleil,
Il n’a pas pu trouver sur terre son pareil.
Grace à nos bons aïeux, l’arbre croît et s’élève
Et monte chaque jour, luxuriant de sève,
Et ce qu’il donne est pur et céleste, depuis
Ces belles palmes d’or et ces augustes fruits
Qui pendent par milliers à ses fécondes branches,
Jusqu’à ces belles fleurs si douces et si blanches
Qu’à peine elles se sont ouvertes au matin,
Que la mère de Dieu les prend pour son jardin.
Que cette fille est belle ! oh ! par sainte Marie !
La terre d’ici bas n’était pas sa patrie.
Je ne l’ai jamais vue au temps qu’elle vivait,
Mais certes cet habit dont la mort la revêt
Me semble la parer d’une façon auguste.
J’aime ce vêtement qui flotte et qui tout juste
Laisse voir sa main blanche et le bout de son pied,
Et je trouve ce soir que le linceul lui sied
Mieux que ne le ferait la plus belle toilette.
La mort n’est pas toujours cet horrible squelette,
Ce fantôme hideux, cet insensé vieillard
Qui marche dans les prés humains, et sans égard
Abat toutes les fleurs de la même faucille ;
Elle est souvent galante avec la jeune fille.
La Mort, frères, la Mort est un beau cavalier
Qui monte avec lenteur et dégoût l’escalier
Des vieilles de cent ans, au front stérile et chauve,
Ouvre les grands rideaux, pénètre dans l’alcove,