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LE SOUPER CHEZ LE COMMANDEUR.

étroit sentier d’aubépine et de saules, mon corps a rappelé son ame qui flottait au jardin des étoiles, et ma béatitude a changé de sphère. Je rêvais à présent, et ma rêverie était à mon exaltation de tout-à-l’heure ce que les feux du soir qui reluisent sous l’herbe sont à la lumière des étoiles. Je marchais lentement sous la feuillée, et lorsque les saules me caressaient de leurs rameaux, il me semblait sentir ces molles ondulations que mes cheveux n’ont plus, hélas ! depuis qu’ils sont de pierre. Le vent chantait à travers les buissons, les marguerites sous mes pieds s’ouvraient aux rayons de la lune, et de leur calice s’échappaient des paroles que j’écoutais avec ravissement. Tout à coup une voix humaine s’est élevée au milieu de ce chœur pacifique de la nature, et plus j’avançais, plus cette voix devenait plaintive et lamentable, de sorte que bientôt elle seule a dominé toute la symphonie. Alors je me suis arrêté, j’ai vu sur le bord du sentier un malheureux qui perdait tout son sang par sa poitrine et se mourait ; sa fille se tenait à genoux à ses côtés, elle était belle et tout en larmes. On eût dit Madeleine essuyant les blessures du Sauveur. — Un médecin ! criait-elle, un médecin ! pour empêcher mon père de mourir ! Sainte Vierge, venez encore à mon aide cette fois. — Il faut que cette fille ait toujours été sage et pieuse, car la madone l’a tout de suite exaucée. J’assistais déjà le vieillard qu’elle avait à peine fini sa prière. — La plaie est large et profonde, ai-je dit, mais n’importe, je réponds de votre père, si Dieu permet qu’il vive encore assez de temps pour que j’aille chercher les herbes nécessaires à son salut. — Alors je me suis dirigé vers le champ voisin, et mes yeux ont reconnu les plantes aussi bien qu’en plein jour ; le bras du Seigneur m’éclairait avec la lampe du ciel pendant mon pieux travail. Lorsque ma belle moisson a été complète, je l’ai serrée avec amour sur ma poitrine, et tout chargé d’hermodactyle et de carthame, je m’en retournais à grands pas à travers les bruyères, plus heureux qu’une jeune fille qui, par un beau dimanche, quitte la plaine et court à vêpres emportant son bouquet de roses et de marguerites. Le vieillard m’attendait encore : j’ai fait le signe de la croix, étendu mes herbes sur une pierre et me suis mis en devoir de les broyer ensemble ; et si j’avais le temps, je te dirais combien c’était une jouissance ineffable pour ton aïeul